18 octobre 2003

[Aletheia n°47] Alain de Benoist juge l’Eglise

Aletheia n°47 - 18 octobre 2003
Alain de Benoist juge l’Eglise
Il y a plus de dix ans, dans une des revues qu’il dirige, Krisis, Alain de Benoist avait analysé, en deux longs articles, la “ stratégie de Jean-Paul II ”. Celle-ci pouvait se résumer, selon lui, en un seul concept : la “ nouvelle évangélisation ”. Dix ans plus tard, ces deux études sont traduites en italien, augmentées d’une “ postface ” inédite d’une vingtaine de pages, et paraissent sous le titre : La “ nuova evangelizzazione ” dell’Europa. La strategia di Giovanni Paolo II (Arianna Editrice, Via Caravaggio 34, 40033 Casalecchio, Italia, 103 pages, 8¤).
L’exercice est curieux à lire parce qu’il émane d’un observateur radicalement étranger au christianisme, souvent hostile, quoique assez bien informé des publications, tendances, évolutions du catholicisme européen. C’est presque un commentaire juxtalinéaire qui devrait être fait de ces pages, tant elles appellent de commentaires ou de rectifications ou de contradictions.
La thèse centrale d’Alain de Benoist est que le christianisme “ a aujourd’hui achevé son cycle historique ” (p. 96), que “ le monde postmoderne ne sera ni chrétien ni antichrétien, mais simplement postchrétien ” (p. 95). On passera sur la notion, contestable, de “ cycle historique ”. En revanche, si l’on examine quels arguments Alain de Benoist emploie pour dire que le christianisme “ a fait son temps ” (p. 96), on peut les trouver légers ou non convaincants. Léger quand il juge de l’actuelle “ crise de la foi ” au regard des résultats de sondages de la Sofres sur la pratique religieuse. Ces chiffres, même en supposant qu’ils permettent de mesurer de manière assez fiable la pratique religieuse, ne peuvent prétendre mesurer la “ foi ” : ce sont deux réalités différentes bien que, dans le christianisme, elles devraient être liées.
Qui plus est, comment déduire une crise contemporaine de la foi, à l’échelle de l’Eglise universelle, à partir de chiffres de sondages français ? Dans d’autres pays d’Europe et sur d’autres continents, les chiffres de la pratique religieuse ne sont pas du tout les mêmes. La situation française n’est pas le reflet de la situation universelle de l’Eglise, de la foi et de la pratique religieuse.
Ailleurs, quand Alain de Benoist écrit : “ Aujourd’hui on ne voit plus de personnalités connues se convertir au christianisme ”, même si on s’en tient à l’Europe, on peut le contredire. On peut renvoyer le lecteur au recueil publié par Denis Lensel (L’irruption de la grâce. Témoignages de conversion, Editions de Paris, 1999). On y trouve, pour ne citer que des personnalités françaises converties ces dernières décennies : André Frossard, Maurice Clavel, Didier Decoin, Vincent Reyre, d’autres encore. On pourrait citer par ailleurs un nom cher à Alain de Benoist : Ernst Jünger. Figure revendiquée par la Nouvelle Droite, le grand écrivain allemand, à la fin de sa vie, s’est converti à la foi catholique.
On pourra encore reprocher à Alain de Benoist d’être trop sensible à ce que disent les médias et de se laisser tromper par eux. Il voit la “ repentance ”, voulue par Jean-Paul II depuis les années 1990 et culminant avec le Jubilé de 2000, comme une autocritique qui renforce l’Eglise plus qu’elle ne l’affaiblit. Pourquoi pas ? Mais Alain de Benoist se trompe du tout au tout quand il écrit : “ On a vu le pape demander pardon pour toutes les fautes commises par des chrétiens dans le cours de l’histoire : les croisades, l’Inquisition, les massacres qui ont accompagné la découverte et la conquête de l’Amérique latine, l’esclavage, l’appui donné aux dictatures, etc ” (p. 86).
Jean-Paul II n’a jamais demandé pardon pour ces supposées fautes-là. Ce sont certains médias et certains milieux chrétiens qui ont répété à l’envi et martelé que l’Eglise demandait pardon pour ces fautes-là. À ce sujet, on doit renvoyer à la longue et minutieuse étude de Michel De Jaeghere : “ La repentance, histoire d’une manipulation ”, p. 5-175, en introduction aux actes de la VIIIe Université d’été de Renaissance catholique : La Repentance. Pourquoi nous ne demandons pas pardon (Renaissance catholique, 89 rue Pierre Brossolette, 92130 Issy-les-Moulineaux, 604 pages, 29 ¤).
Ailleurs encore, Alain de Benoist juge bien extérieurement et superficiellement un phénomène comme les Journées mondiales de la jeunesse. Il les compare à la “ Gay Pride ” et autres manifestations de foule où “ règne la même communion festive, la même organicité spontanée : rassemblements éphémères, débordements émotifs (“dionysiaques“), combinaisons de réseaux ” (p. 98-99). Les JMJ n’ont pas eu et n’ont pas le caractère éphémère et superficiel que leur prête Alain de Benoist. Des livres de témoignages sur ces JMJ sont déjà parus en nombre, des études et des enquêtes commencent à être publiées. Il est sans doute trop tôt pour dire que le succés des JMJ témoigne d’un mouvement de fond qui bouleversera l’Eglise et renversera des tendances. En revanche, les JMJ resteront comme un des grands faits du pontificat de Jean-Paul II. Elles relèvent bien de la “ nouvelle évangélisation ” voulue par Jean-Paul II, “ nouvelle évangélisation ” qui est un but à atteindre, certes, mais qui existe d’abord comme action. En ce sens les JMJ, comme les cérémonies de béatification et de canonisation, trop nombreuses aux yeux de certains, sont voulues aussi, par le Pape et par l’Eglise, comme des signes de visibilité de l’Eglise et des croyants.
Cela dit, ce livre, comme souvent ce qu’écrit Alain de Benoist, n’est pas sans apporter, ici et là, des lumières et des éléments de réflexion. J’ai déjà signalé, dans un précédent numéro, son propos, intéressant, sur la liberté religieuse[1]. On relèvera encore, dans ce livre, son propos final, juste, sur un phénomène récent et qui se développe : “ La notion  de laïcité a déjà connu une évolution considérable depuis dix ou quinze ans, évolution qui a changé le sens et le contenu. À l’ancienne séparation entre les Eglises et l’Etat, particulièrement marquée dans les pays latins et de tradition catholique, tend à se substituer une forme inédite de collaboration : la reconnaissance des représentants des grandes religions comme autant d’ “autorités morales“ auxquelles les pouvoirs publics n’hésitent plus à faire appel. Évêques et prêtres, imams et rabbins sont ainsi régulièrement entendus ou consultés par les pouvoirs publics, le plus souvent en liaison avec la mise en place de “comités d’éthique“ chargés de réfléchir sur certains “faits de société“ ou sur des problèmes nouveaux, comme les biotechnologies ou les manipulations génétiques.
Il s’agit moins d’une “déprivatisation“ que d’une “publicisation du privé“. Un tel dialogue équivaut, pour les pouvoirs publics, à tenir implicitement compte des identités religieuses qui, de leur côté, sont de toute évidence désireuses d’être publiquement reconnues. Mais qui y gagne ? En agissant de la sorte, les politiques montrent surtout qu’ils savent se mettre à “l’écoute de la société civile“, qu’ils acceptent de tenir compte des opinions privées. En même temps, ils neutralisent les Eglises —qu’ils mettent de surcroît toutes nécessairement sur le même plan —, puisque cette attitude nouvelle ne va pas (et ne peut aller) jusqu’à admettre qu’une quelconque loi morale ou “naturelle“ puisse prévaloir sur la loi civile positive. Ainsi, avec cette reconnaissance, qui exprime indéniablement un type de rapport nouveau entre la sphère publique et la sphère privée, mais qui au fond change peu de choses, la classe politique, accueillant apparemment leur identité religieuse, achève paradoxalement de ramener les Eglises à un horizon purement séculier ” (p. 100).
Alain de Benoist, lui aussi croit qu’aucune loi naturelle ou divine ne peut prévaloir sur la loi civile. Dans son monde clos, celui de l’anomie, il n’y a pas de place pour l’Espérance et la Providence. D’où son analyse du déclin, inexorable selon lui, de l’Eglise, et son jugement sur l’inefficacité de la “ stratégie ” de Jean-Paul II.
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Un Vénérable contre-révolutionnaire, le P. Bruno Lanteri
L’Index ac status causarum publié par la Congrégation pour la Cause des saints indique que le Décret d’introduction de la Cause de béatification du P. Pio Bruno Lanteri (1759-1830) a été pris le 4 mai 1952 et que le Décret proclamant l’héroïcité de ses vertus a été promulgué le 23 novembre 1965. Ce qui fait de ce prêtre, fondateur des Oblats de la bienheureuse Vierge Marie (O.M.V.), un Vénérable.
En 1986, a été traduit (plutôt mal) en français, aux Editions du Cèdre, le livre que lui a consacré le P. Paolo Calliari : 1789. Révolte contre Dieu. Le Père Bruno Lanteri (1759-1830) et la contre-révolution. Dans sa longue préface, le cardinal Pietro Palazzini  y faisait montre d’une bonne connaissance de la contre-révolution catholique et de ses spécificités. Cette contre-révolution catholique ne doit pas à être assimilée à la contre-révolution politique. Émile Poulat a déjà attiré à plusieurs reprises l’attention sur ce fait, quasiment inconnu des historiens de la Révolution et du XIXe siècle.
Si le P. Bruno Lanteri fut hostile à la Révolution française, c’est pour des motifs strictement religieux. Une édition monumentale de ses écrits, y compris les inédits, devrait aider à mieux connaître ce continent, quasiment inexploré, de la contre-révolution catholique :
Pio Bruno LANTERI, Scritti e Documenti d’archivio, Fossano, Editrice Esperienze/Roma, Edizioni Lanteri (Viala Trenta Aprile 17,  –  00153 Roma, Italia), quatre volumes sous coffret, 357° + 3.944 pages.
Comme il est douteux que cette édition voie jamais le jour en traduction française, je crois utile d’en fournir le plan détaillé :
- Premier volume : Carteggio. Spirituali.
Présentation par le P. Patrice Véraquin, OMV, Recteur majeur. — “ Lanteri et son temps ” par Daniel Moulinet, pages 15° à 75°, texte français, suivi, pages 77° à 138°, de sa traduction en italien. ­— “ Vita di Pio Bruno Lanteri ” par le P. Ferdinando Antonelli, OFM, (extrait de la Positio de la Cause de béatification), pages 139°-152°. — “ La spiritualità di Pio Bruno Lanteri ” par Timothy Gallagher, OMV, pages 153°-164°, — “ Cronologia ” par Andrea Brustolon, OMV, pages 165°-172°. — “ Piste di ricerca ” par Andrea Brustolon, OMV, pages 173°-194°. — “ Indicazioni bibliografiche ”, Index des noms et Index général des matières, pages 195°-357°.
Carteggio
(Correspondance de 1784 à 1829), pages 1-543.
Scritti spirituali
(Ecrits spirituels), pages 544-768.
- Deuxième volume : Polemici. Apologetici.
Scritti teologico-polemici
, pages 769-1532.
Scritti polemico-apologetici, pages 1533-1650.
Textes en italien, en français ou en latin.
- Troisième volume : Fondazioni. Ascetici.
Organizzazioni e fondazioni
, pages 1651-1960.
Scritti teologico-ascetici e mistici, pages 1961-2464.
Textes en italien, en français ou en latin.
- Quatrième volume : Predicabili.
Recueil de sermons, de notes de retraites, d’instructions, en italien, en français et en latin, pages 2465-3944.
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L’abbé Aulagnier sanctionné
Les récentes déclarations de l’abbé Aulagnier (cf. le précédent numéro d’Alétheia) ont amené le Supérieur général de la FSSPX “ à prendre à son encontre des mesures extrêmement graves ”. C’est l’expression employée par M. l’abbé Régis de Cacqueray, supérieur du District de France, dans un communiqué, en date du 14 octobre, qui paraîtra dans le numéro de novembre-décembre de la revue Fideliter (7,50 ¤, B.P. 88, 91152 Etampes Cedex). Je ne commenterai pas ce communiqué, ni la nature des “ mesures extrêmement graves ” prises. Je signale simplement que l’abbé Aulagnier a répondu par un communiqué intitulé “ Je reste membre de la Fraternité Saint-Pie-X ”, en date du 15 octobre, communiqué qui a été rendu public par Entraide et Tradition (Rue Jean Eudes, 14480 Le Fresne-Camilly), puis publié le vendredi 17 octobre dans Présent (5 rue d’Amboise, 75002 Paris).
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[1] Cf. Alétheia, n° 39, mars 2003. La revue Le Sel de la terre, dans son dernier numéro, n° 46, automne 2003 (14 ¤, Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé), p. 260-264, réfute l’analyse d’Alain de Benoist, d’après la citation que j’en avais faite, et réfute l’analyse du card. Ratzinger que je citais également.