15 septembre 2005

[Abbé Philippe Laguérie - Mascaret] "... Nul ne doit douter pour l’heure des bonnes intentions qui animent les deux partis..."

Abbé Philippe Laguérie - Mascaret (éditorial) - septembre 2005

Bien chers amis

Cet été 2005 a évidemment permis une paix que n’avait pas connue le précédent ! Il n’en a pas moins été, au contraire, particulièrement laborieux. Liturgiquement d’abord, qu’on en juge d’après notre carnet paroissial. Belle vie chrétienne à tous ces baptisés, prospérité et bonheur à tous ces jeunes mariés.

L’évènement capital et providentiel de cet été, c’est bien sûr l’arrivée à Saint-Eloi de notre jeune et valeureux confrère Monsieur l’abbé Henri Forestier. Une vraie bénédiction du ciel pour Monsieur l’abbé Héry et moi-même, comme pour vous tous. Parce qu’il n’a pas accepté les injustices qui nous ont frappés l’an passé et l’a fait savoir, il a été mis au chômage technique intégral par son prieur, ainsi qu’à la diète, privé de tout subside et interdit de renouveler dans la FSSPX ses engagements le 8 décembre. Il a été exclu de fait. Il a engagé un recours. Dans la situation de harcèlement qu’il a subi, nous le recueillons très volontiers, avec action de grâce et je me contente de lui dire aujourd’hui cette phrase, devenue célèbre, de mon prédécesseur à Saint-Nicolas du Chardonnet – le subtil Monseigneur Ducaud Bourget (quelle grâce d’avoir un jour croisé cet homme) : « je voudrais être pour toi le curé que je n’ai jamais eu ».

Mais l’évènement le plus considérable de l’été est et restera la rencontre historique de Mgr Bernard Fellay avec le pape Benoît XVI du 29 août 2005. Elle engage l’avenir de la Tradition et de l’Eglise. J’aimerais ici vous donner brièvement mon sentiment.

Et tout d’abord, quitte à vous surprendre, vous dire que je laisse entièrement Mgr Fellay à ses graves responsabilités dans ce domaine qui relève, par sa nature, des ses compétences et de ses grâces d’état. Pourvu qu’elles soient parfaitement loyales de part et d’autre (comme d’ailleurs elles se sont engagées) ces relations nouvelles, qui portent en elles un immense espoir, relèvent de la prudence. J’ai toujours reconnu aux autorités de la Fraternité leurs compétences dans ce domaine et continuerai de le faire. En voici les raisons.
1) La doctrine
La doctrine catholique n’est pas susceptible de discussion et tous les baptisés, jusqu’au pape et surtout lui, se doivent de la recevoir comme telle. Il y a dans le concile Vatican II une dizaine de thèses inacceptables au regard de cette doctrine. Comme est par exemple le fameux « Subsistit in » selon lequel l’Eglise fondée par Notre Seigneur se contenterait de subsister dans l’Eglise catholique Romaine. Ce qui voudrait dire qu’il y a d’autres modes de subsistance de cette Eglise de Jésus-Christ. D’où l’appartenance à géométrie variable des fidèles (?) à l’Eglise. Les fameux “cercles concentriques” du pape Jean-Paul II. D’où, à la limite, les “chrétiens anonymes” de Ranher qui appartiennent à l’Eglise (le corps, pas l’âme) sans le savoir. Autant d’hérésies qui mêlent l’extravagance au loufoque. Car si tout un chacun appartient ainsi diversement à l’Eglise, c’est que « par le mystère de l’Incarnation, Jésus-Christ s’est uni, en quelque sorte, à tout homme ». Mais la doctrine catholique est très simple : l’Eglise du Christ ne subsiste pas (seulement) dans l’Eglise Romaine ; elle est l’Eglise Romaine et il n’y a aucun autre mode de subsistance que celui-là. Car si l’on sait que la subsistance est le formel de la personne (physique ou morale), cette doctrine du Concile est aussi ridicule que d’affirmer d’un homme qu’il subsiste en lui-même. Pour ma part, comme pour la vôtre, je ne subsiste pas dans l’abbé Laguérie (Philippe), je le suis tout simplement. Il n’y a pas d’autres modes de subsistance de votre serviteur, et fort heureusement d’ailleurs, pensent mes ennemis et même mes amis… Si un passant dans la rue, vous explique qu’il subsiste dans sa personne, un bon conseil : changez de trottoir ! Paradoxalement, le pape Benoît XVI qui globalement s’affirme héritier et défenseur du concile Vatican II, malmène l’une après l’autre les grandes thèses de ce concile en les ramenant à la vérité catholique. Il l’a fait pour la liberté religieuse en 1988, depuis l’Amérique du sud. Il l’a refait récemment pour le fameux (« subsistit in », affirmant que le seul sens possible de cette phrase est l’identité de l’Eglise du Christ avec l’Eglise Romaine. Et s’il nous fallait là-dessus être plus papiste que le pape, qu’à cela ne tienne. Il existe d’ailleurs une règle objective et officielle d’interprétation du concile dont tous pourraient et devraient convenir et qui laisse le champ libre à une inéluctable critique des points contestés et inacceptables.

C’est la déclaration du 6 mars 1964 de la Commission doctrinale du concile lui-même, (A.S.S.) 57. 1965. 72. 75). Nous traduisons ce texte décisif : « En raison de la pratique conciliaire (générale) et de la fin pastorale du présent concile (Vat. II), le saint Synode n’entend proposer, en matière de foi et de mœurs, comme devant être tenu par l’Eglise ces seules choses qu’il aura expressément déclarées comme telles. Toutes les autres, que propose ce Saint Synode comme doctrine du magistère suprême de l’Eglise, tous et chacun des fidèles du Christ doivent les recevoir et les accepter selon l’esprit de ce Saint Synode, qui se fait connaître, soit à partir de la matière traitée, soit à partir du mode d’expression, suivant règles (classiques) de l’interprétation théologique ».

Les textes douteux et dangereux du Concile ne relèvent évidemment pas du 1er paragraphe. Jamais le concile ne propose à tenir comme de foi ou de mœurs les doctrines controversées. Il faut donc admettre que ces doctrines doivent être reçues, selon l’esprit de ce concile à fin pastorale et suivant les critères traditionnels de la théologie catholique. Et c’est le concile lui-même qui nous ouvre la voie à une critique du concile dans tous les enseignements où il n’a pas dit expressément qu’il enseignait la foi ou les mœurs à tenir. C’est ce que nous faisons depuis 30 ans, c’est ce qu’entreprend ici et là le pape Benoît XVI et c’est ce que demande… le concile ! Etant sauve la doctrine, voyons la prudence d’un accord.
2) La prudence
La prudence est cette vertu (naturelle ou surnaturelle : pour les thomistes, ça fait deux) qui applique aux conditions concrètes de l’agir moral (par définition fluctuantes et mouvantes) les principes moraux, inchangeables et intangibles quant à eux, du droit naturel et surnaturel.

La morale ne consiste pas, donc, dans l’application matérielle des principes au concret (sous peine d’immoralité). Elle doit absolument passer par la vertu de prudence personnelle. La prudence est comme la suspension d’une voiture : entre la caisse, immobile, et les roues, nécessairement chaotiques comme le sol, il faut cet ajustement continuel qui nous évite le décor à chaque tournant ou dos d’âne. Quand le grand saint Nicolas envoie trois sacs d’or par la fenêtre à ce très curieux papa qui, faute de pouvoir les doter convenablement, avait simplement décidé de prostituer ses trois filles… il fait preuve d’une très grande prudence ! Car enrichir ainsi un père monstrueux en passe de devenir le proxénète de ses propres filles, défit quelque peu le bon sens… et pourtant il crée ainsi trois jeunes foyers chrétiens.

La prudence ne peut être ici que celle de Monseigneur Fellay et de lui seul. Son entourage et les pressions de toutes sortes ne peuvent ni ne doivent interférer, sauf comme de sages conseils. Etant sauve la doctrine et notre capacité à la conserver intégralement, c’est à lui seul d’apprécier l’opportunité des propositions romaines, hic et nunc, pour le bien non seulement de la Fraternité, mais de toute l’Eglise. A lui d’apprécier et de ménager l’absence de toute déviation doctrinale, d’évaluer l’impact considérable d’un feu vert romain sur notre apostolat, d’imposer l’unité de la Fraternité etc…

Quel chemin accompli depuis le mois de juillet où il n’était pas question d’accord (cf. B.O. du district de France), alors qu’on vient de s’engager, « par étapes et dans des délais raisonnables », à une pleine réconciliation ! Nous soutiendrons donc Mgr Fellay de nos prières tout au long de cette année difficile pour lui. C’est le juste retour du principe de subsidiarité bien compris. Quand un secrétaire, loin derrière son bureau me dicte le bien commun de Saint-Eloi et déclare illicite notre ministère auquel il n’entend rien : je sais dire non et l’ai prouvé. Mais quand le bien commun tout entier de la Tradition est engagé au plus haut niveau, je sais attendre et prier aussi.

Nul ne doit douter pour l’heure des bonnes intentions qui animent les deux partis. La cadence imposée par Rome me plait aussi : si un entrepreneur propose de me construire une maison “dans des délais raisonnables”, j’escompte prudemment être assez vite dans les murs, c’est le cas de le dire… Car l’échéance de l’été 2006 ne doit en rien interférer et quand un pape, après seulement six mois de Pontificat, prend ainsi les affaires en main, il me semble que le zèle de tous et de chacun doit se réveiller.

Abbé Philippe Laguérie