22 avril 2008

[FSSPX] Interview de Monseigneur Fellay - par le Père Benoît - à Libreville

SOURCE - extrait du courrier "Saint Pie" de mai 2008 - mise en en ligne par La Porte Latine - 22 avril 2008

Le Saint Pie : Monseigneur, c’est un honneur et une joie de vous avoir parmi nous à bord de la Mission Saint Pie X ! Et à plus d’un titre puisque vous êtes venu non seulement comme évêque pour donner le sacrement de confirmation à 63 fidèles du GABON, mais aussi comme supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, pour visiter notre belle communauté et nous parler de l’Église. En quelques questions, Monseigneur, nous voudrions survoler pour nos lecteurs du Saint Pie votre séjour à Libreville, pour leur faire part d’un peu de ce suc d’édification spirituelle que vous nous avez apporté.
Mais tout d’abord, Monseigneur, pourriez-vous nous dire ce que représente la Mission du Gabon dans l’histoire de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X ?
Mgr Fellay : La Mission Saint Pie X rappelle à la Fraternité qui défend la Tradition de l’Église, fondée par Mgr Lefebvre bien connu ici au Gabon où il fut missionnaire pendant 13 ans sous le nom du Père Marcel, eh bien précisément que la Tradition de l’Église, ou ce qui revient à dire l’Église tout court, parce que l’Église ne peut pas être sinon une tradition, nous rappelle tout simplement que l’Église est missionnaire. Et pour nous, Fraternité qui sommes plongés dans un combat assez difficile qui est celui de défendre les valeurs de l’Église, la réalisation concrète d’une mission en Afrique à la suite de Monseigneur Marcel Lefebvre nous rappelle avec beaucoup d’efficacité et très vivement cette nécessité pour tout catholique, et bien sûr évidemment pour un catholique traditionnel, d’être missionnaire, de continuer cet esprit de conquête des âmes pour Notre Seigneur jésus Christ.
Le Saint Pie : Après avoir visité la communauté des Pères, des frères et des soeurs, non seulement à la Mission mais aussi au Juvénat du Sacré Coeur, puis en brousse équatoriale au domaine Saint Joseph d’Andeme et au prieuré Saint Jacques de Four Place, pourriez-vous dire à nos lecteurs du Saint Pie votre sentiment sur cette oeuvre de la Fraternité, oeuvre d’Église, après plus de vingt années de présence au Gabon ?
Mgr Fellay : Mon premier sentiment est un sentiment d’émerveillement, c’est quelque chose comme quand on voit un beau coucher de soleil, on dit : « magnifique » ! Quand on voit de si belles oeuvres, on peut dire en plein milieu de la brousse… enfin, de la brousse de la crise de l’Église, on s’émerveille, on bénit le Bon Dieu.
Et puis on se rend compte que le Bon Dieu veut réellement sauver tous les hommes et que pour cela les hommes n’ont qu’à apporter leur bonne volonté et alors, comme la pluie qui pleut sur cette terre, la grâce tombe sur les coeurs de bonne volonté, et fait pousser le salut. On voit très très bien que cette oeuvre de la Fraternité est une oeuvre de salut. Voilà mon sentiment à voir cette magnifique oeuvre.
Le Saint Pie : La Fraternité s’est implantée maintenant dans quatre pays de notre grand continent Africain : au Gabon, en Afrique du Sud, au Zimbabwe et au Kenya. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre vision d’avenir pour les fidèles africains de la Tradition ?
Mgr Fellay : Pour l’instant, quand on regarde la carte de l’Afrique, on voit que la Fraternité est établie un peu en forme de triangle, tout à la pointe en bas et puis des deux côtés vers le milieu, les fidèles savent aussi que nous avons d’autres pays en attente, qui sont visités avec plus ou moins de fréquence : autour du Gabon, il y a le Cameroun et le Nigeria, au côté du Kenya c’est l’Ouganda, la Tanzanie, du côté de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe ce sont les pays alentours, c’est un petit peu le Mozambique, un petit peu le Malawi, un peu plus la Zambie où l’on commence à avoir de l’apostolat. Et donc on voit trois centres d’intérêt, et de temps en temps on se pose la question s’il ne faudrait pas resserrer les liens entre ces trois points pour donner plus de force encore à cet apostolat. Je suis persuadé qu’il y a de l’avenir en Afrique, mais il manque des prêtres, il manque cruellement de prêtres et il faudrait pouvoir envoyer une escouade pour pouvoir répondre aux besoins, aux demandes déjà actuelles. Oui je vois un bel avenir pour la Fraternité, pour la Tradition en Afrique.
Le Saint Pie : L’année 2008 est l’année d’un anniversaire, celui des 20 ans de votre sacre épiscopal par Monseigneur Lefebvre ! Grâce à l’épiscopat qu’il vous a transmis, nous avons encore des Pères ici au Gabon, et nos enfants reçoivent de vos mains les dons du Saint Esprit et le caractère de confirmé. Dans vos sermons de confirmation vous nous avez expliqué le rôle du Saint Esprit dans une âme et la signification de ce caractère de soldat. Pourriez-vous nous dire un mot du rôle de ce beau sacrement, finalement peu connu, pour nous fidèles catholiques dans le combat qui est le nôtre dans cette période troublée de l’histoire de l’Église.
Mgr Fellay : La confirmation, elle est promise si l’on peut dire. Elle nous parle du Saint Esprit et de l’aide, du rôle du St Esprit dans la vie du chrétien. Ce qui est très intéressant c’est de voir que Notre Seigneur va parler du Saint Esprit aux apôtres au moment où il leur demande d’aller en mission, au moment où il dit qu’il seront des témoins, que ces témoins pourront aller jusqu’au martyr, donc c’est lorsqu’il parle de la prédication. Annoncer la bonne nouvelle c’est annoncer qu’il n’y a qu’un seul sauveur, que c’est Notre Seigneur, et c’est aussi annoncer que, dire cela, ça va coûter à ceux qui seront les témoins, cela va coûter peut-être jusqu’à la vie, mais ce sera glorieux, non pas parce que c’est beau de mourir pour une belle cause, mais parce que Dieu sera avec les apôtres, Dieu Saint-Esprit.
Aujourd’hui ce combat prend une nouvelle forme parce qu’il y a une partie de l’Église catholique qui est devenue infidèle à ce combat, infidèle à cette profession de foi, infidèle à cette annonce qu’il n’y a qu’un seul Sauveur Notre Seigneur Jésus Christ, qu’il n’y a pas d’autre nom qui est donné sous le Ciel par lequel on puisse être sauvés. On pourrait dire que la Tradition entend bien continuer ce message qui a été le message de l’Église pendant tous les siècles et qui ne peut pas être autre chose pour l’Église toute entière encore aujourd’hui. Cependant vu ce malheur dans l’Église, cette mission est rendue encore plus dure parce que cette fois-ci nous n’avons pas que des ennemis du dehors, nous avons même dans l’Église un certain nombre qui nous considèrent comme des ennemis et qui s’en donnent à coeur joie. D’où l’importance de ce soutien, de se sentir soutenu dans ce combat pour la foi par le Bon Dieu par le Saint Esprit promis par Notre Seigneur et que l’on voit tous les jours à l’oeuvre dans notre apostolat.
Le Saint Pie : Monseigneur, au cours de la conférence donnée aux instituteurs et professeurs de notre école, vous nous avez parlé de l’importance de l’éducation chrétienne. Pourriezvous donner un conseil aux premiers éducateurs d’enfants que sont leurs parents ?
Mgr Fellay : Le premier conseil que je donne aux parents c’est d’aimer leurs enfants. Qui n’aime pas ses enfants ? Alors qu’est-ce que cela veut dire aimer ses enfants. Aimer cela veut dire vouloir le bien. Vouloir le vrai bien, c’est vouloir le plus grand des biens, mais c’est aussi vouloir tout le reste. Les enfants ont besoin d’une relation privilégiée avec leurs parents et les parents aujourd’hui où la famille est disloquée doivent exprimer à leur enfants cet amour. Amour ça ne veut pas dire leur donner des sucettes, ça veut dire les conduire vers les biens qui sont la perfection de l’être humain, qui sont la connaissance de la vérité et l’amour du bien, alors même que cela coûte. Cette éducation comporte un certain sacrifice, un certain renoncement et là les parents ne doivent pas hésiter à faire leur devoir pour cela. Voilà mon conseil.
Le Saint Pie : Vous nous avez parlé aussi des relations avec Rome, de l’impact de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X sur de grands pas effectués comme celui du MOTU PROPRIO. Finalement, même avec le MOTU PROPRIO, le combat continue !
Mgr Fellay : C’est très important de bien comprendre que le combat continue ! Le MOTU PROPRIO parce qu’il est beau, parce qu’il ouvre de nouveau les portes de l’Église à l’ancienne Messe qui a vraiment droit de cité dans l’Église, pourrait faire penser que donc maintenant c’est gagné, que c’est affaire conclue, eh bien non ! C’est un pas, c’est un grand pas, un pas que nous espérons décisif, mais pour cela il faut que ce Motu proprio devienne concret, il faut qu’il devienne effectif. Et de plus, la Messe et donc le Motu Proprio, ce n’est que la pointe d’un iceberg, notre combat lui, il se trouve en fait beaucoup plus sous l’eau qu’au dessus, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de choses qui n’apparaissent pas et qui appartiennent à ce combat. Combat pour Notre Seigneur, ce combat pour la vérité, ce combat contre les erreurs modernes, contre les tentations du monde qui veut toujours se passer du Bon Dieu, qui veut toujours rassasier les désirs des hommes en oubliant les commandements du Bon Dieu.
Le Saint Pie : Pouvez-vous dire un mot sur les autres sociétés qui bénéficient aussi de ce pas pour la Messe ?
Mgr Fellay : Ce qu’il faut espérer de ces sociétés c’est qu’elles fassent tout simplement leur devoir devant Dieu, devant l’Église. Et faire ce devoir cela devrait être quelque part le même que le nôtre et alors, dans ce cas là, nous ne verrions pas en eux des rivaux mais beaucoup plus, si l’on peut dire, des collaborateurs. Nous prions et espérons qu’ils fassent cela.
Le Saint Pie : Monseigneur Lefebvre aimait à dire qu’il voyait ici en Afrique des villages, comme ceux qu’il a pu connaître près de Lambaréné, se transformer petit à petit par la Messe. Il a expérimenté autrefois l’efficacité de la Messe pour transformer les âmes, et on peut dire, n’est-ce pas, que c’est toujours dans la Messe qu’est notre force et notre victoire pour l’Église toute entière ?
Mgr Fellay : Oui, je le pense aussi. Il ne faudrait pas dire que dans la Messe, mais dans les effets de la Messe. La Messe apporte beaucoup plus que la Messe. C’est comme un camion chargé, il n’y a pas que le camion qui arrive, il y a aussi le chargement qui arrive avec le camion. Et c’est un chargement de grâce, un chargement de doctrine qui nourrit la foi et c’est en même temps toute une force de grâces de sanctification. La société est sanctifiée par la Messe. La Messe c’est comme un soleil qui irradie la grâce et qui rentre, qui pénètre dans la société et qui la rend chrétienne. Si on laisse faire la Messe, il y a tout un enchaînement cohérent qui se produit et c’est ce que décrivait Monseigneur. Et il n’y a aucune raison de penser que cette efficacité aurait diminué ou disparu de la Messe. Bien dire la Messe bien recevoir la Messe, bien y assister va produire les mêmes effets. C’est une question de temps, une question bien sûr de circonstances humaines, à nous d’y travailler !
Le Saint Pie : Alors si l’on met la Messe de toujours avec tout ce qu’elle apporte, en concurrence avec la nouvelle, c’est ce qui va se passer avec le MOTU PROPRIO, on risque fort de démontrer quelle est la bonne !
Mgr Fellay : Aucun problème, parfaitement ! C’est déjà un cardinal, le cardinal Médina, qui me disait en 1998 : « qu’on donne aux deux messes les mêmes chances et que la meilleure gagne ! » Il n’est pas difficile de savoir laquelle ce sera ! Et on pourrait parler d’une Vox Populi, d’une voix du peuple, même si aujourd’hui les choses semblent complètement renversées, laissez, laissez cette liberté de la Messe ! elle parle aux âmes ! On le voit chez les enfants, chez les servants de Messe qui ont jusque-là assisté à la nouvelle Messe, qui ont servi la nouvelle messe : Ils découvrent une fois l’ancienne messe, ils n’hésitent pas une seconde pour savoir laquelle ils préfèrent… parce que c’est la meilleure, seulement parce que c’est la bonne Messe !
Le Saint Pie : Et même pour des prêtres qui n’auraient pas connu la Messe de toujours et qui la découvriraient maintenant, ils en percevraient les bienfaits ?
Mgr Fellay : Même chose. Nous avons beaucoup, beaucoup d’exemples très émouvants de prêtres qui nous disent qu’en célébrant l’ancienne Messe, ils découvrent ce qu’est le sacerdoce. Phrase évidemment impressionnante, phrase qui pèse lourd et qui en dit long sur la formation qu’ils ont reçue dans les séminaires aujourd’hui.
Le Saint Pie : Ainsi, il n’y a pas que le problème de la Messe dans la crise de l’Église, il y a aussi cette partie cachée de l’iceberg, ce nouvel esprit qui est lié à cette nouvelle conception de la Messe, qui règne et s’infiltre dans les âmes. Et cela rejoint ce que vous nous disiez tout à l’heure sur l’infidélité de l’Église à son bon combat de la foi. Finalement, avec le faux oecuménisme qui est une altération même de la vertu de charité, peut-on dire que l’Église conciliaire est encore missionnaire de nos jours ?
Mgr Fellay : Si les mots ont encore un sens, alors il faut dire que l’Église Conciliaire aujourd’hui n’est pas missionnaire, qu’elle a renoncé à la mission. Même si quelque part il y a un texte tout récent qui parle encore de la mission chez la païens, il n’y a qu’à voir comment, de manière très concrète depuis des décennies les missionnaires travaillent, pour constater Le Père Marcel que ce n’est plus un travail missionnaire, que c’est un travail humain, un travail qui a une certaine valeur auprès des hommes, une valeur anthropologique, mais qui n’a plus de valeur pour le salut. Ils ne cherchent plus à sauver.
Le Saint Pie : Mais pourquoi l’Église ne cherchet- elle plus à sauver, pourquoi n’est-elle plus vraiment missionnaire ?
Mgr Fellay : Parce qu’elle estime que chacun peut se sauver facilement et que ça ne vaut pas la peine de se sacrifier, d’assumer toutes sortes de peines pour un travail inutile puisque tout le monde est sauvé. L’enfer est vide donc tout le monde est sauvé. Et s’il en est ainsi, ça ne vaut pas la peine d’être missionnaire.
Le Saint Pie : Serait-ce un peu le sens de la nouvelle encyclique du pape Benoît XVI « Spe Salvi » à propos du salut dans l’espérance ?
Mgr Fellay : Il y a quelques rappels dans cette encyclique qu’on n’avait plus entendu depuis longtemps comme l’existence de l’enfer, du jugement, du purgatoire. Mais quand on lit de près ce qui est dit, on a vraiment l’impression que même si ces choses existent, elles ne sont là que comme des tigres en papier, pas bien dangereux, de toute façon, la grande majorité, grâce à Notre Seigneur qui est mort pour nous, est sauvée.
Le Saint Pie : Pour terminer cette interview Monseigneur, je sais que vous prenez dans quelques minutes votre avion pour rejoindre le froid de la Suisse, juste une dernière question. Avec les milliers de chapelets récités et maintenant la croisade du Rosaire, vous mettez toute l’histoire du salut dans les mains de Notre Dame n’est-ce pas ?
Mgr Fellay : Mais ce n’est pas moi qui mets dans les mains de Notre Dame, c’est le Bon Dieu ! C’est manifeste, depuis ces apparitions du XIXème siècle et du début du XXème siècle, que Notre Dame joue un rôle prépondérant dans l’histoire du salut et de manière particulière aujourd’hui. Je crois que c’est à Fatima que la Saint Vierge elle-même disait que Dieu avait mis dans ses mains la paix du monde, la paix des nations. Bien sûr, cela n’est pas encore le salut, mais c’est assez remarquable de voir cette phrase qui quelque part sanctionne la royauté de Notre Dame même sur la terre et on sait que chez le Bon Dieu, s’il y a une telle royauté comme la royauté de Notre Seigneur Jésus Christ, c’est en vue du salut. Il n’est pas difficile de voir et de comprendre que la Sainte Vierge joue un rôle dans l’histoire des hommes aujourd’hui, un rôle très particulier, et que cela est lié au rôle que Dieu lui a donné au niveau du salut. C’est Elle qui vient, c’est Elle qui vient recommander en cette période de trouble la prière du chapelet, la consécration de la Russie, la dévotion au Coeur Immaculé de Marie, comme moyens du salut. Les cinq premiers samedis du mois avec la promesse de la grâce finale, la grâce du salut, c’est assez extraordinaire ! Et il ne faut pas être insensible à cette histoire qui se déroule sous nos yeux. Pour moi je suis intimement persuadé que nous sommes dans le temps qu’un jour on appellera le temps de Marie !
Le Saint Pie : Merci beaucoup Monseigneur, les fidèles Gabonais seront au pèlerinage de Lourdes pour marquer l’histoire de ce temps de Marie ! Magnifique !

Propos de Monseigneur Fellay, recueillis par le Père Benoît, à Libreville, le 22 avril 2008.
Extrait du Saint Pie n° 162 de mai 2008