15 juin 2009

[Lettre à Nos Frères Pretres] Une situation canonique intermédiaire

SOURCE - Lettre à Nos Frères Prêtres - organe de liaison de la FSSPX avec les prêtres français - juin 2009

Dans une petite brève fielleuse, La Croix du 29 mai 2009 écrit : « Alors que, pour Rome, les quatre évêques dont l’excommunication a été levée par Benoît XVI n’ont aucun ministère dans l’Église et ne peuvent procéder à aucune ordination, le séminaire intégriste de Zaitzkofen (Allemagne) a annoncé hier que Mgr Alfonso de Galarreta ordonnera le 27 juin prochain trois prêtres de la Fraternité Saint-Pie X. “Dans les négociations actuelles, il n’a jamais été question d’un arrêt général des ordinations”, estime l’abbé Stefan Frey, reprenant le discours lefebvriste sur “l’état de nécessité”. La Fraternité Saint-Pie X prévoit d’ordonner 21 prêtres, dont plusieurs à Écône, le 29 juin. »
Nous allons essayer de débrouiller le sac de noeuds savamment noué par La Croix, sans nous arrêter à ses habituelles perfidies, comme par exemple l’emploi du mot injurieux « intégriste ».
La Fraternité Saint-Pie X a pour but la formation sacerdotale
Le but principal de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, définie par ses Statuts validés le 1er novembre 1970 par l’évêque de Fribourg, est « le sacerdoce et tout ce qui s’y rapporte », c’est-àdire « toutes les oeuvres de formation sacerdotale ». C’est pourquoi les mêmes Statuts redisent un peu plus loin que « la formation sacerdotale est le premier et le principal but de la Fraternité ».
C’est évidemment pour cette raison que le nom le plus connu de la Fraternité Saint-Pie X, nom qui s’identifie presque avec elle, est Écône, qui désigne le lieu (en Suisse) où est implanté depuis 1970 le premier séminaire de la Fraternité.
Bien évidemment, qui dit formation sacerdotale et séminaire, dit logiquement ordinations. C’est pourquoi, depuis 1970, se déroulent au sein de la Fraternité Saint-Pie X des ordinations, depuis la tonsure jusqu’au sacerdoce, en passant par les ordres mineurs, le sous-diaconat et le diaconat puisque, rappelons-le, la Fraternité Saint-Pie X célèbre la liturgie traditionnelle qui connaît ces divers degrés vers le sacerdoce.
Les dates de ces ordinations sont même fixées de façon coutumière dans la Fraternité. La tonsure (qui n’est pas un ordre au sens propre, d’ailleurs) est ainsi usuellement conférée à l’occasion de la Présentation de l’Enfant Jésus au Temple (2 février), tandis que le sacerdoce est conféré pour sa part lors de la fête des Apôtres Pierre et Paul (29 juin).
Des discussions doctrinales avec une Fraternité… qui existe!
Le décret du 21 janvier 2009 affirme explicitement que le Supérieur de la Fraternité Saint-Pie X a pris « l’engagement de ne ménager aucun effort pour approfondir dans les nécessaires colloques avec les Autorités du Saint-Siège les questions encore ouvertes, afin de pouvoir ainsi parvenir rapidement à une pleine et satisfaisante solution du problème posé à l’origine ».
Dans sa lettre aux évêques du 10 mars 2009, le pape Benoît XVI précise les enjeux (de son point de vue) et le cadre de ces « colloques » ou « entretiens doctrinaux » évoqués par le décret du 21 janvier : « Le fait que la Fraternité Saint-Pie X n’ait pas de position canonique dans l’Église, ne se base pas en fin de compte sur des raisons disciplinaires mais doctrinales. Tant que la Fraternité n’a pas une position canonique dans l’Église, ses ministres non plus n’exercent pas de ministères légitimes dans l’Église. Il faut ensuite distinguer entre le niveau disciplinaire, qui concerne les personnes en tant que telles, et le niveau doctrinal où sont en question le ministère et l’institution. Pour le préciser encore une fois : tant que les questions concernant la doctrine ne sont pas éclaircies, la Fraternité n’a aucun statut canonique dans l’Église, et ses ministres –même s’ils ont été libérés de la punition ecclésiastique– n’exercent de façon légitime aucun ministère dans l’Église. A la lumière de cette situation, j’ai l’intention de rattacher à l’avenir la Commission pontificale Ecclesia Dei –institution compétente, depuis 1988, pour les communautés et les personnes qui, provenant de la Fraternité Saint-Pie X ou de regroupements semblables, veulent revenir à la pleine communion avec le Pape– à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Il devient clair ainsi que les problèmes qui doivent être traités à présent sont de nature essentiellement doctrinale et regardent surtout l’acceptation du concile Vatican II et du magistère post-conciliaire des Papes. »
Il est évident que le Successeur de Pierre envisage des entretiens doctrinaux avec une Fraternité Saint-Pie X qui continue à exister et à vivre, même si (de son point de vue) il estime qu’elle n’a pas encore de « position canonique dans l’Église ». Il serait contradictoire de dire à la Fraternité, d’une part, « Cessez d’exister » et, d’autre part, « Entamons des discussions doctrinales ».
Or, nous l’avons vu, les ordinations font partie intégrante de l’essence même de la Fraternité Saint-Pie X. Donc, vouloir que la Fraternité vive, pour réaliser ces discussions doctrinales, tout en commençant par la décapiter, en supprimant les ordinations, est à l’évidence absurde et impossible.
Les ordinations de la Fraternité ne sont nullement une provocation
C’est pourquoi Mgr Bernard Fellay, Supérieur général de la Fraternité, a pris contact avec Rome, par lettres et par visites, jusqu’au plus haut niveau, pour expliquer et confirmer de la façon la plus claire que la poursuite des ordinations dans le sein de la Fraternité, selon les modalités et aux dates usuelles, n’a rien d’une provocation, d’un mépris des gestes récents d’ouverture du Souverain Pontife, d’une attitude de dissidence et de rébellion envers l’Autorité suprême de l’Église, même s’il reste des obstacles et des difficultés que les discussions doctrinales auront pour objet de réduire.
Dans sa Lettre aux amis et bienfaiteurs datée de Pâques 2009, Mgr Fellay explique le contexte actuel de la manière suivante : « Profitant de la nouvelle situation après le décret sur l’excommunication, qui n’a rien changé au statut canonique de la Fraternité, maints évêques essaient de nous imposer un cercle carré en exigeant de nous l’obéissance à la lettre du Droit canon, en tout point, comme si nous étions parfaitement en ordre, alors qu’en même temps ils nous déclarent canoniquement inexistants! Déjà un évêque allemand a annoncé qu’avant la fin de l’année, la Fraternité serait de nouveau hors de l’Église… Charmante perspective!
« La seule solution viable, celle d’ailleurs que nous avions demandée, est celle d’une situation intermédiaire, forcément incomplète et imparfaite au plan canonique, mais qui soit acceptée comme telle sans constamment nous jeter à la face l’accusation de désobéissance ou de rébellion, sans lancer à notre égard des interdictions intenables. Car en fin de compte, l’état anormal dans lequel se trouve l’Église et que nous appelons état de nécessité, se voit prouvé une fois de plus dans l’attitude et les paroles de certains évêques à l’égard du Pape et de la Tradition.
« Comment les choses vont-elles évoluer? Nous n’en savons rien. Nous maintenons notre proposition d’accepter notre situation actuelle imparfaite comme provisoire, tout en abordant enfin les discussions doctrinales annoncées, en espérant qu’elles porteront de bons fruits. »
L’aveu inattendu de La Croix sur cette question
Le plus étonnant et amusant, au demeurant, c’est que La Croix elle-même, le 30 mai 2009, sous le titre « Réintégration », a décrit cette situation complexe de la Fraternité Saint-Pie X.
« L’excommunication, écrit en effet Nicolas Senèze, ne met pas hors de l’Église catholique. Cette peine, la plus grave selon le droit catholique, consiste à exclure les fidèles de la communion de l’Église : elle a pour effet de les priver des sacrements et, en ce qui concerne les clercs, de leur interdire de célébrer ces sacrements. La levée, décidée le 21 janvier par Benoît XVI, de l’excommunication qui frappait les quatre évêques ordonnés en 1988 par Mgr Lefebvre, n’a donc pas eu pour effet de réintégrer ceux-ci dans l’Église catholique puisque, malgré leur excommunication, ils n’ont pas cessé d’en faire partie. De même, si l’Église considère qu’ils ont été ordonnés de façon illicite, elle reconnaît que leur ordination est valide (de par la succession apostolique). En raison des différents doctrinaux persistants entre la Fraternité Saint-Pie X et l’Église, celle-ci ne confie toujours aucun ministère à ces quatre évêques : ils n’ont, par exemple, pas le droit d’ordonner des prêtres. Ainsi, s’ils sont validement évêques, et s’ils sont bien catholiques, ils ne sont pas encore pour autant évêques de l’Église catholique. »