16 octobre 2009

[Côme Prévigny / Christus Imperat] Quitter la France pour rester catholiques? Jacques Masson face à Marcel Lefebvre

SOURCE - Côme Prévigny - Christus Imperat - 16 octobre 2009
Monseigneur Jacques Masson, responsable à l’agence Fides n’a pas craint de rappeler qu’il était le premier directeur du séminaire d’Ecône. Ces derniers jours, il a proposé en plusieurs épisodes ses souvenirs des débuts de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X qu’il a quittée dès 1974. Ses lignes sont d’un grand intérêt. Elles témoignent de l’état de délabrement de l’Église à cette époque et manifestent les doutes d’un jeune prêtre dans la tourmente de l’après-Concile. C’est le premier objectif de l’auteur et il est juste de l’en remercier.

La lecture de ces récits est surprenante à deux titres : d’abord parce que son auteur dresse un tableau assez noir de l’état du clergé demeuré dans les structures diocésaines. Selon lui, la perte de la foi était généralisée dans ses rangs lorsqu’il l’a quitté. Nous voulons bien le croire. L’autre élément qui nous a surpris, c’est sa très grande fermeté à l’égard de Mgr Lefebvre et de son œuvre. Celle-ci aurait débouché sur un « schisme », une affirmation que ne partage pas, par exemple, le pape Benoît XVI, qui y voit simplement un risque de schisme. Si nous voulons bien croire que c’était une crainte que l’auteur pouvait nourrir en 1972, nous voyons mal cependant comment il pourrait affirmer qu’il existe un esprit schismatique dans un groupe qui a réussi à conserver la Foi parmi des centaines de milliers de familles qui l’ont transmise, à leur tour, aux générations suivantes, sans cependant jamais vouloir se séparer du Siège de Pierre. Mais, il est certain que la levée sans condition de l’excommunication de 1988 ne peut que surprendre ceux qui ont préféré se régulariser plutôt que de continuer à suivre la Fraternité et qui préfèrent voir dans l’acte papal un acte d’une clémence telle qu’elle semble presque dédaigneuse.

Au-delà de la fidélité que l’on peut vouer à un homme, que des âmes aient pu s’inquiéter de voir dériver la Fraternité vers un véritable schisme est compréhensible. Le différend avec le Saint-Siège aurait pu écœurer à tout jamais bien des clercs et des fidèles. Et là aussi, on se serait aperçu que les responsables de cet éloignement n’auraient pas été les premiers soupçonnés. Mais il n’y a jamais eu de telle réalité. Mgr Lefebvre et ses successeurs ont toujours rappelé leur attachement au Siège de Pierre, appelé à prier pour le pape, manifesté leur amour pour la Ville Éternelle.

Dans toute l’affaire d’Ecône qui s’inscrit dans le cadre de la crise de l’Église, le danger est grand de s’appesantir sur des considérations strictement canoniques. C’est comme reprocher à une ambulance d’avoir enfreint le code de la route. Une victime ne se préoccupe guère de savoir si c’est un hors-la-loi ou un officier en règle qui vient la secourir. Des âmes qui ont lâché l’Église, parce qu’elles sont tombées entre les mains d’un Jacques Gaillot ou d’un Robert Zollitsch, il y en a des milliers, je n’ose dire plus. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Mgr Masson lui-même : les prêtres n’avaient plus la Foi ! Fallait-il donc que nous restions entre les mains de tous ceux que le prélat romain décrit aujourd’hui : « De nombreux séminaristes, qui ont été ordonnés prêtres, et sont devenus curés (s'ils ont persévéré dans leur sacerdoce), j'ose le dire sans les juger, mais en toute objectivité, n'étaient déjà plus catholiques. »

Alors, oui ! Il fallait s’affranchir de structures qui tôt ou tard nous auraient conduits vers les wagons de la perte de la Foi. Mgr Masson a été l’un des premiers à prendre le chemin de l’exil, en l’occurrence celui de Rome. Il l’explique : « J’avais quitté la France pour rester catholique ». Les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X se sont, quant à eux, maintenus sur le terrain et se sont vus progressivement dépouiller de leur celebret, parfois de leurs églises, de leur régularité canonique. Comme Notre Seigneur, on leur a arraché leurs vêtements pour en faire des parias. Mais pour quelle raison s’obstinaient-ils à demeurer en France ? Pour les âmes, oui, pour nos âmes !

Car toutes ces familles dont la maison et le travail étaient en France, que pouvaient-elles faire si ce n’est encourager cet archevêque pour qu’il vienne les secourir ? Ce n’était pas là un durcissement mais un appel toujours plus pressant à venir secourir les hommes tandis que la Chrétienté déclinait toujours plus rapidement. Ces âmes abandonnées de tous pouvaient-elles quitter leurs foyers et perdre leur emploi pour se rendre à Rome ? Pouvaient-elles vraiment suivre Mgr Masson dans son exil ?

Certes, on aurait pu faire de Marcel Lefebvre un homme de cour, un prince de l’Église multipliant les titres et les décorations. En lui faisant coiffer un chapeau cardinalice dans un dicastère inoffensif plutôt que de lui concéder un des plus petits évêchés français, on aurait ainsi désamorcé la bombe « Lefebvre ». Les vexations corréziennes ont eu du bon. Elles furent finalement providentielles. Elles ont fait garder la tête froide à cet archevêque qui avait jadis marché tant de fois dans la boue gabonaise animée de la même simplicité avec laquelle il faisait la vaisselle de ses séminaristes d’Ecône. Du premier jour jusqu’au dernier, un seul souci l’a animé : le salut des âmes. Le jour des sacres, il l’explique. Le cas de nécessité qu’il invoque n’est pas un subterfuge pour sauver une œuvre personnelle. Il est une obligation pour sauver les âmes : « Nous sommes dans le cas de nécessité, cas de nécessité de venir au secours de vos âmes, de venir à votre secours. » (sermon des sacres, 30 juin 1988). Avec le courage, la persévérance et la stature dont il était doté, il lui aurait été reproché lors de son jugement dernier de s’être offert une retraite anticipée. Il aurait été peccamineux pour lui de ne pas porter assistance à des âmes en danger.

Il nous est interdit de juger. Toutes ces aptitudes n’étaient pas données à tous. Et nombre de prêtres ont trouvé refuge partout où ils le pouvaient, regardant au loin ce que faisait le prélat d’Ecône. De manière générale, ils n’osent pas aujourd’hui le juger a posteriori car ils se trouveraient eux-mêmes confrontés à l’objection de la nécessité de sauver les âmes en France, une priorité qui passait, aux yeux de Mgr Lefebvre, bien avant le confort de se trouver en régularité canonique.

Comment, après avoir démontré que les évêques de France avaient tout manigancé, en vouloir à Mgr Lefebvre ? Comment, de surcroît, quand on a démontré qu’il fallait quitter la France pour rester catholique, lui en vouloir d’avoir sauvé sur le terrain le plus grand nombre de vies et d’avoir maintenu vivant une bonne partie du tissu catholique ? Comment, après avoir rappelé le désarroi et le regret du pape lui-même face à une des plus grandes manipulations au sein de la Curie, parler d’un « schisme » pour stigmatiser celui qui l’a toujours refusé et qui fut la victime de ce triste coup monté ?

À Rome, ces accusations ne prévalent même plus. C'est justement parce qu'il ne croit pas au schisme que Benoît XVI fait tant de gestes pour la Fraternité, que l'affaire Lefebvre, qui vit des évolutions inimaginables depuis vingt ans, est loin d'être terminée, et que la sagesse exige plus que jamais que les personnes de bonne volonté qui ne comprennent pas les sacres s'abstiennent de condamner Mgr Lefebvre.

Côme Prévigny
agrégé de l'Université