17 janvier 2010

[Paix Liturgique] Pour les évêques de France, les fidèles attachés à la forme extraordinaire sont-ils des idiots?

SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°213 - 17 janvier 2010

C’est à chaque fois la même chose, lorsqu’une étude scientifique, professionnelle et indépendante menée sur la question du Motu Proprio ne donne pas des résultats conformes à la doctrine épiscopale élaborée dans des salons coupés de la réalité, « on » trouve alors des explications rassurantes et « on » évite ainsi de remettre en cause ces certitudes…

Le sondage réalisé du 30 novembre 2009 au 8 décembre 2009 dans le diocèse de Versailles n’a pas échappé à la règle.

Ce sondage ne fait que confirmer les précédents sondages commandités par Paix Liturgique (sondage DOXA en octobre 2009 en Italie, sondage CSA du 24 et 25 septembre 2008, sondage CSA du 8 novembre 2006 et sondage IPSOS de 2001 pour la France) et indique que 34 % des catholiques pratiquants du diocèse de Versailles allant à la messe tous les dimanches assisteraient à la forme extraordinaire du rite romain tous les dimanches si elle était célébrée dans LEUR paroisse.

Ce n’est guère étonnant pour un diocèse dans lequel, en septembre dernier, selon les indications qui nous ont été données, 8 sur 14 séminaristes sont entrés dans des séminaires où est célébrée ordinairement la forme extraordinaire du rite romain et dont les séminaristes devenus prêtres célèbreront demain la messe traditionnelle. Oui, 57 %, plus d’un séminariste sur deux ! Et la situation ne pourra évoluer (vraisemblablement par accroissement du nombre global des vocations, selon un principe bien connu en matière d’« offre » ciblée) que lorsque l'évêque de Versailles ouvrira son séminaire au biformalistes …

Pourtant, « on » vient nous expliquer que de tels sondages ne signifient rien et que les gens qui ont répondu ne sont pas bien malins puisqu’ils ne font pas la différence entre une messe de Saint Pie V et une messe de Paul VI célébrée en latin.
« On » nous explique aussi qu’en assimilant la forme ordinaire à la messe en français et la forme extraordinaire à la messe en latin et en grégorien, nos sondages feraient dire aux sondés ce qu’ils ne veulent pas dire…

De tels propos ne sont ni rares ni exagérés et proviennent même des évêques français les plus bienveillants !

Par exemple, l'un d'entre eux nous écrivait récemment à propos de la publication de notre précédent sondage :

"… Dans votre sondage, vous assimilez la forme ordinaire à la messe en français, la forme extraordinaire à la messe en latin et en grégorien. Or tel n’est pas le cas, la forme ordinaire est la messe de Paul VI, la messe extraordinaire est celle du missel de 1962. Que devrait cocher la personne qui serait tout à fait satisfaite d’une messe de Paul VI en latin et en grégorien ?"

De telles remarques ne sont ni opérantes, ni significatives pour au moins quatre raisons :

1ère raison :

Le sondage versaillais est corroboré par des faits objectifs vérifiables par tout le monde comme par exemple le nombre d’entrées de jeunes versaillais dans les séminaires de forme extraordinaire.
Ces jeunes, qui ont fait le choix de ne pas entrer dans le séminaire diocésain où leur attachement liturgique n’est pour l’instant pas reconnu, sont-il tous des benêts, des ignares qui ne font pas la différence entre une messe de Saint Pie V et une messe de Paul VI célébrée en latin et face à Dieu ?
Ces séminaristes versaillais sont-ils donc si incultes qu’ils se sont trompés et sont entrés par hasard dans les séminaires de forme extraordinaire ?
Qui plus est, comme dans tous les séminaires de France, et sûrement plus à Versailles qu’ailleurs, les séminaristes qui sont entrés dans l’année de propédeutique du séminaire diocésain sont vraisemblablement, pour une part non négligeables, des biformalistes en puissance.
Les fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain ne sont ni des nostalgiques d’une époque qu’ils n’ont pour la plupart pas connue, ni des imbéciles qui n’y connaissent rien, ni des fidèles qui veulent « un peu de latin et d’encens »…
Cela fait peut être mal à certains idéologues mais les fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain le sont pour des raisons solides qu’ils connaissent bien et qu’ils expriment volontiers quand on leur en donne l’occasion.
Appréhender la question de la sorte est faire preuve d’une profonde méconnaissance du sujet et disqualifie par là même ceux qui emploient de tels arguments.

2ème raison :

Dans quelle paroisse du diocèse de Versailles trouve-t-on habituellement une célébration de la messe de Paul VI en latin, le prêtre tourné vers le Seigneur ? : A notre connaissance dans aucune église !
Dans quelle paroisse du diocèse de Versailles trouve-t-on une célébration de la messe de Saint Pie V (dimanche et/ou semaine) ? : dans 9 églises !
Autrement dit la messe de Paul VI célébrée en latin et tournée vers le Seigneur dont nous parlent ceux qui contestent le sondage n’existe pas dans le diocèse de Versailles ni d’ailleurs en France à de très rares exceptions près.
Cela est confirmé par le courageux Denis Crouan qui a fait de son cheval de bataille la messe de Paul VI célébrée en latin et tournée vers le Seigneur. Son site PRO LITURGIA (LIEN) regorge d’articles quasi-quotidiens pour expliquer que la réforme liturgique n’est pas correctement mise en œuvre en France et qu’il est de fait quasiment impossible, de trouver en France des messes de Paul VI célébrées dignement, en latin et le célébrant tourné vers le Seigneur.
Ce n’est pas nous qui l'affirmons mais LE spécialiste de la liturgie ordinaire grégorienne. Faut-il ajouter que Denis Crouan n’est pas parfaitement clair dans l’énoncé de ses revendications et que son combat repose sur des approximations ? Il milite, en fonction de sa sensibilité particulière, au reste tout à fait respectable, pour que les célébrants adoptent l’une des innombrables possibilités offertes par le missel de Paul VI. Mais ceux-ci restent totalement libres de choisir ou de ne pas choisir telle ou telle option laissée par le missel nouveau. A la limite, on ne voit pas pourquoi Denis Crouan se plaint : il défend une option parmi bien d’autres options, à laquelle répondent une poignée de prêtres qui partagent sa sensibilité. En revanche, pour notre part, du côté de la forme extraordinaire, nous défendons un droit que la seule existence d’un « groupe stable » oblige, selon la loi édictée par le Pape, à satisfaire. Il faut cependant reconnaître que M. Crouan a raison de dénoncer l’horreur du latin qu’ont les clercs de la génération conciliaire : lorsque des célébrants, ou des évêques, pour biaiser avec la demande de la forme extraordinaire, proposent une « messe en latin », ce n’est pas la messe Crouan qu’ils proposent, mais au mieux le chant du kyriale. D’ailleurs, si M. Crouan obtenait quelques succès dans son combat donquichottesque, il préparerait les voies à l’usus antiquior dans les lieux où il serait, par extraordinaire, c’est le cas de le dire, parvenu à ses fins.
Pour revenir à notre sujet, il n’est pas davantage sérieux de soutenir que des catholiques interrogés dans ce sondage confondraient une messe de Saint Pie V à laquelle ils ont accès puisque célébrée dans 9 églises de leur diocèse et dont le nombre de célébrations en France et dans le monde va croissant, avec une liturgie idéelle, conforme aux vœux pieux de M. Crouan, qu’ils ne connaissent pas et qui n’est célébrée ni n’a été célébrée quasiment jamais et nulle part ?

3ème raison :

Le sondage met en lumière l’opinion de personnes se déclarant catholiques et dont la première question est précisément la connaissance ou non du Motu Proprio qui distingue les deux formes du rite romain (ordinaire et extraordinaire). Il est donc parfaitement établi que lors du questionnaire les personnes interrogées savent de quoi on leur parle : la célébration de la forme extraordinaire du rite romain comme on peut la voir au Pèlerinage de Chartres par exemple ou lors des reportages télévisés consacrés au sujet depuis quelques années et non pas une messe de Paul VI en latin qu’elles n’ont jamais vu célébrée nulle part…
Il est donc malhonnête et irrespectueux de prétendre que les fidèles interrogés ne font pas la différence entre les deux formes du rite romain et qu’il faut bien évidemment nuancer les réponses de personnes censées ne pas savoir de quoi elles parlent.
C’est faire preuve d’arrogance que de prétendre mieux savoir que les intéressés eux-mêmes ce que ces derniers pensent.

4ème raison :

Qu’on le veuille ou non, et même si cela n’est pas exact sur un plan intellectuel, dans l’esprit de Monsieur-tout-le-monde, la messe de Saint Pie V c’est la messe en latin et la messe de Paul VI c’est la messe en français. Un évêque issu du clergé parisien, auquel nous suggérions qu’il pourrait parfois célébrer la messe de Paul VI en latin, nous disait tout bonnement : « Vous savez, pour nous, la messe en latin, c’est la messe d’avant le Concile », les seules messes en latin que l’ont peut trouver étant en effet à 99,99 % des messes célébrées dans le rite de Saint Pie V.
Il en va de même, d’ailleurs pour l’orientation « vers le Seigneur », ou au contraire « vers le Peuple ». 99,99 % des célébrations paroissiales sont célébrées en français, le prêtre « dos au Seigneur ». Et il est notable de constater que, par exemple, dans un sondage commandité par Le Pèlerin en décembre 2006 ayant justement pour titre « les français et la messe en latin », le rite de Saint Pie V était défini comme « la messe en latin, le prêtre le dos tourné à l’Assemblée ». On notera que 65 % des catholiques pratiquants – à l’époque, soit 6 mois avant la publication du Motu Proprio et du rappel du Pape de ce que la messe traditionnelle n’avait jamais été interdite – n’étaient pas favorables à des degrés divers à ce que le Pape autorise plus largement la messe de Saint Pie V. [On notera que, selon ce sondage, 29 % des catholiques pratiquants y étaient pour leur part favorables : avant le texte du Pape, on était donc déjà dans des proportions non négligeables même si la proportion de personnes favorables a doublée depuis].
Curieusement, à l’époque, nous n’entendîmes personne remettre en cause ce sondage aux motifs que les fidèles ne feraient pas la différence entre les deux formes du rite ou parce que la messe de Paul VI aussi peut être célébrée en latin.…

Notre conclusion :

Ce sondage versaillais n’est pas un scoop. Il suffit de fréquenter une seule fois les lieux de culte dominicaux archi-bondés où est célébrée la forme extraordinaire du rite romain dans le diocèse de Versailles pour comprendre une partie de l’ampleur de la demande.

Il suffit de regarder honnêtement les centaines de paroissiens de la forme ordinaire du rite romain qui ont demandé à leurs curés – à Notre Dame de Versailles ou à Saint Germain en Laye par exemple – en vain l’application du Motu Proprio dans leur paroisse dans laquelle ils pratiquent chaque dimanche, pour comprendre une autre partie de l’ampleur de la demande. Heureusement, de nombreux signes nous montrent d’ailleurs que, de haut en bas, il y a dans le clergé de Versailles une prise de conscience progressive de cette réalité pastorale. Il ne nous faut donc pas perdre courage mais au contraire redoubler d'efforts pour parvenir à la paix et à la réconciliation.