15 février 2010

[Jean Mercier - La Vie] Hans Küng: "Le pape va contre Vatican II"

SOURCE - Jean Mercier - La Vie - 15 février 2010

Le théologien suisse, opposant bien connu de la Curie romaine en général et de Benoît XVI en particulier, estime que le pape est infidèle au Concile Vatican II.

Il a une opinion tranchée sur tout. Sur les papes Benoît XVI, Jean Paul II, Pie XII. Mais aussi sur la liturgie, le célibat des prêtres, les scandales sexuels dans l'Eglise. Le théologien Hans Küng, né en 1928 et célèbre opposant à Jean Paul II et au cardinal Joseph Ratzinger devenu Benoît XVI, vient de faire paraître le deuxième tome de ses mémoires aux éditions du Cerf (1968-1980, Une vérité contestée). Nous l'avons rencontré à cette occasion et récolté quelques phrases choc.

Déçu par Benoît XVI
"J'ai espéré que Ratzinger se montre différent comme pape de ce qu'il fut comme patron de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Mais cela n'a pas été ainsi. Ses nominations à la Curie sont terribles. Comme son secrétaire d'Etat, il a pris un homme, Tarcisio Bertone, qui n'était pas du tout préparé à cette tâche.

Comme pape, il a raté tous les tournants.  Il n'a pas répondu aux attentes des orthodoxes, en leur proposant, dans le cadre du dialogue, de ne pas avoir à accepter les Conciles auxquels ils n'ont pas participé depuis le XIe siècle. Il s'est limité avec eux à des embrassades, à des solennités. Avec les musulmans, on sait ce que cela a donné avec la Déclaration de Ratisbonne. En ce qui concerne les Juifs, il y a eu l'affaire de la prière du vendredi saint, et le scandale Williamson. Quant aux Eglises protestantes, elles n'ont pas digéré qu'on leur dise qu'elles ne sont pas des Eglises.

Le pape dit que les autres religions sont déficientes, et que l'Eglise catholique est parfaite, mais quand on voit les scandales qui y éclatent ! En Allemagne, on est désormais gêné qu'il soit allemand.
Plus fondamentalement, Ratzinger et moi sommes différents dans notre approche de Jésus. Moi, je suis attaché au Jésus de l'Histoire. Son Jésus à lui est dogmatique, comme il a été défini lors du Concile de Nicée en 325."

Le pape va contre Vatican II
"Pour le théologien jésuite Francisco Suares (1548-1617), il y a deux possibilités d'être schismatique. Soit on se sépare du pape. Soit le pape se sépare de l'Eglise.
Benoît XVI devrait être très prudent dans sa vision des choses, car il va contre le Concile. C'est un choc pour beaucoup de gens. Il a restauré la messe médiévale tridentine. Il a repris les ornements de Léon X (1513-1522), le pape qui avait raté l'occasion de sauver les choses avec Martin Luther. Il a nommé l'an passé un nouveau patron pour la Congrégation du Culte Divin, Antonio Cañizares, qui se promène avec la « cappa magna », c'est-à-dire une traîne. On se croirait au sacre de Napoléon. Même la reine d'Angleterre ne ferait plus une chose pareille. Le pape se rend complice d'une corruption du sacré, sous la forme d'une aristocratie cléricale qui cache ses agissements sous les ornements baroques.

Au sujet du Concile, Benoît XVI défend son herméneutique de la continuité contre une herméneutique de la rupture. Mais c'est un mensonge de dire que nous avons considéré Vatican II comme une rupture. C'était un tournant, une réforme. Cette « herméneutique de la continuité » est la seule chose que le pape a trouvé pour interpréter le Concile selon sa vision d'un retour au passé. Mais on ne l'acceptera pas ! On ne peut pas aller contre le Concile."

Le célibat sacerdotal
"La loi du célibat obligatoire est explicitement une contre-affirmation de ce que dit le Nouveau Testament sur la liberté. Et donc, elle ne peut être considérée comme catholique. C'est le produit d'un « monasticisme » médiéval – à ne pas confondre avec le vrai monachisme.
Cette loi médiévale non seulement s'oppose à l'Evangile mais aussi aux droits de l'homme. Elle s'enracine dans le paganisme. Elle reste un énorme problème en Amérique Latine et en Afrique où le célibat est observé de manière … disons 'élégante' ".

Au sujet des prêtres pédophiles
"Il y a aujourd'hui ce scandale des prêtres pédophiles chez les jésuites en Allemagne. Ce n'est qu'un nouvel épisode d'une crise du catholicisme occidental qui a un problème avec la sexualité. J'ai parlé récemment avec un ambassadeur d'Irlande qui m'a dit que l'autorité de l'Eglise s'est totalement écroulée là-bas à cause de ces scandales. Mais je n'ai jamais voulu croire que c'était seulement une affaire irlandaise ou américaine.

Le problème est universel. Il est lié au célibat obligatoire. Je sais que le célibat n'implique pas nécessairement qu'il y ait des abus sexuels, mais ce n'est pas un hasard s'il y a eu des scandales en nombre extraordinaire dans l'Eglise catholique en particulier. Il ne suffit pas de condamner ces prêtres car ils sont victimes d'un système. La Curie romaine a aidé à ce que les choses aillent dans un sens funeste. Toutes les affaires ont été centralisées par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, sous le sceau du secret absolu. Tout est arrivé sur la table du cardinal Ratzinger. Il a tout vu, il a eu connaissance de tous les dossiers."

Deux poids, deux mesures
"Avec l'affaire Williamson, je veux bien croire que le pape ne savait pas qu'il était négationniste, mais il savait nécessairement que tous ces gens-là étaient antisémites et tous opposés à Vatican II. Comment peut-on accepter dans l'Eglise ces évêques schismatiques et avoir été aussi dur avec des théologiens de la libération qui n'étaient même pas marxistes ? On a été sans pitié avec eux. Alors qu'on accepte des gens qui nient le Concile !"

Pie XII n'est pas un saint
"Quand j'étais au Collège Germanique à Rome, pendant mes études, le Père Leibe, le secrétaire privé de Pie XII, était venu nous voir. Il nous avait raconté la journée-type du pape. On lui avait ensuite demandé : est-ce que le Saint Père est un saint ? Et il avait répondu : « Non, ce n'est pas un saint, c'est un grand homme de l'Eglise ». Pour Pie XII, l'institution était plus importante que tous les Juifs du monde entier. Pour lui la menace communiste pesait plus lourd que la menace nazie.

Et puis il a condamné les prêtres ouvriers. Je me souviens de ce que m'a confié le cardinal Gerlier à ce sujet. Avec d'autres cardinaux, il était allé à Rome pour le convaincre de ne pas faire de condamnation. Gerlier m'a raconté que Pie XII leur avait dit : « Ma conscience de pape m'oblige à agir dans ce sens ». Gerlier n'avait pas su quoi répondre. A mon avis, il aurait dû lui rétorquer que sa conscience d'évêque l'obligeait, lui, à protester contre la décision du pape. Mais les évêques français se sont écrasés.

Pour autant, il ne faut pas diaboliser Pie XII. Il a connu un choc lorsque les commandos rouges ont mis à sac la nonciature de Berlin en 1918. Un peu comme Ratzinger fut traumatisé par les étudiants révoltés de Tübingen en 1968. Sa peur du communisme était devenue existentielle. On peut le comprendre mais on ne peut pas en faire un saint."

Sur Jean Paul II
"Wojtyla n'était pas un saint car il n'a jamais voulu parler avec des gens qui pensaient différemment de lui. Il a beaucoup parlé « sur » le dialogue mais ne l'a pas pratiqué. Son moralisme sexuel n'a servi à rien et la jeune génération s'en moque totalement."

L'avenir de l'Eglise catholique
"La situation actuelle me conforte malheureusement dans ma vision critique. Je suis un catholique loyal, je suis dans l'opposition à ce présent système. D'ailleurs, comme moi, beaucoup de saints n'ont pas aimé la Curie.
Je ne suis pas un moderniste, je critique tout comme Benoît XVI une forme de scientisme qui critique la transcendance.
Mais si, comme Benoît XVI, on se situe dans l'extrême, celui d'un rigorisme moral médiéval, alors on perd toute crédibilité.

Etre catholique, ce n'est pas lié au paradigme de l'absolutisme romain. On peut être catholique selon le modèle de la Réforme. Je suis catholique selon le paradigme oecuménique et évangélique. Car l'idéal est d'être catholique avec l'esprit évangélique et non romain. Car, pour définir ce qui est catholique, le critère est la conformité à l'Evangile.

L'Eglise peut survivre car elle n'est pas une idéologie comme le Communisme. La substance restera, pas la hiérarchie. Il reste heureusement des communautés qui fonctionnent bien, où le curé est bon. L'identification au catholicisme ne se fera plus avec le pape mais avec le curé local".