15 juin 2001

[Abbé Bouchacourt - Certitudes] «Contre l’apostolat in vitro de l’Action Catholique spécialisée, les paroisses restent la vie et l’avenir de l’Eglise» ("Des prêtres pour l'Eglise romaine")

Abbé Bouchacourt - Nouvelle revue CERTITUDES (n°6) - juin 2001

Contribution publiée dans le cadre de l'enquête dirigée par l'Abbé de Tanoüarn

De quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au service de l'Eglise aujourd'hui?
Concrètement la Fraternité Saint-Pie X se met au service de l'Eglise dans la défense de la messe et du sacerdoce. Elle concourt à manifester ainsi la visibilité de l'Eglise avec une attitude qu'elle veut 100 % catholique. Il s'agit de reformer un tissu catholique en créant des séminaires et des écoles, en encourageant les familles chrétiennes. On peut dire que le mouvement traditionaliste à engendré toute une génération. La rupture de tradition qui menaçait depuis la révolution conciliaire n'a pas eu lieu. A Saint-Nicolas-du-Chardonnet, nous sommes bien placés pour l'attester puisque nous sommes une véritable paroisse catholique. Qu'est-ce qu'une paroisse ? C'est l'instrument idéal de la sainteté pour tous les chrétiens, chacun à sa place. Et plus nos paroisses se sanctifient, plus elles rayonnent. C'est cela aussi, concrètement, le service de l'Eglise. Toute oeuvre apostolique part de l'église paroissiale pour y revenir. C'est une erreur de croire que la paroisse ou le prieuré traditionnel peut effrayer le nouveau venu. Celui qui en franchit la porte, toujours ouverte, est heureux de trouver des prêtres qui ont grâce d'état pour toucher et guider les âmes, il rencontre des laïcs dévoués et zélés ; il y assiste à une belle liturgie sacrée, en un mot il y entrera dans une famille. Les prieurés qui ont été ouverts en France et dans le monde par la Fraternité Saint-Pie X, comme notre église Saint-Nicolas, s'ils n'ont pas un statut canonique de paroisse, ont pour finalité de reconstituer des communautés paroissiales si essentielles à la vie de l'Eglise, car la paroisse est à l'Eglise ce que la famille est à la société civile : la cellule de base. Les mouvements catholiques nationaux sont venus perturber cet ordre au lendemain de la guerre. Ils ont pratiqué un apostolat in vitro, coupé de toute attache paroissial. Indirectement, c'est certainement une des causes du Concile.
Qu'est-ce que cette romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
La romanité est certainement l'une des valeurs que Mgr Lefebvre vivait de manière extraordinaire. Jusqu'à ses 83 ans, il n'a pas arrêté de se rendre à Rome pour plaider sa cause, pour plaider en faveur de la tradition romaine. C'est que Rome plus que Jérusalem est le berceau des chrétiens. Jérusalem était la ville de l'ancienne alliance, celle contractée avec Moïse, mais elle a perdu sa prééminence lorsque le voile du Temple s'est déchiré en deux le jour du Vendredi saint. Rome aujourd'hui est la Jérusalem nouvelle, la ville vers laquelle tous les regards des catholiques convergent. La découverte du tombeau de saint Pierre, durant le pontificat de Pie XII nous donne une raison supplémentaire d'aimer cette Ville, où sont les catacombes, les églises antiques, les tombeaux des papes. Tant de saints sont venus, tant de bienfaits ont coulé sur la chrétienté depuis Rome. C'est vers elle que nous regardons. Certes, la crise conciliaire l'a défigurée, mais nous sommes convaincus qu'un jour, quand Dieu le voudra, la restauration de la Tradition viendra de Rome et de son Vicaire, il nous faut pour l'instant attendre et tenir par amour pour la Rome éternelle, convaincus qu'ainsi nous servons la papauté. Dans cette perspective, où Rome pour ainsi dire n'est plus dans Rome, il est significatif que le pape se sente à l'étroit à Rome et voyage sans arrêt dans le monde entier. Quant aux traditionalistes, leur pèlerinage à Rome en août dernier manifeste bien leur attachement intérieur à Rome malgré les difficultés actuelles. C'est cet attachement à la fois viscéral et lucide que recommandait Mgr Lefèbvre dans son Itinéraire spirituel : « Plus les scandales viennent de haut et plus ils provoquent des désastres. Certes l'Eglise en elle-même garde toute sa sainteté et ses sources de sanctification, mais l'occupation de ses institutions par des papes infidèles et par des évêques apostats ruine la foi des clercs et des fidèles, stérilise les instruments de la grâce, favorise les assauts de toutes les puissances de l'Enfer, qui semble triompher... » Et notre fondateur ajoutait : « Plus la sainte Eglise est outragée, plus nous devons nous attacher à elle corps et âme, plus nous devons nous efforcer de la défendre et lui assurer sa continuité en puisant dans ses trésors de sainteté pour reconstruire la chrétienté »...
Comment caractérisez-vous les sacres de 1988 ?
Les sacres c'est un acte suprême de charité, charité vis-à-vis de Dieu pour sauver le sacerdoce et la messe, charité vis-à-vis des hommes pour donner aux fidèles des prêtres, charité vis-à-vis de soi-même car le prêtre peut continuer à dire la messe. Au jour d'aujourd'hui, il faut bien reconnaître qu'il n'existe pas un seul évêque qui accepte la fidélité totale à la tradition. Alors cette désobéissance matérielle, si on la regarde sous cet angle-là devient un acte d'héroïsme pour ce que Mgr Lefebvre lui-même appelait l'opération survie de la Tradition.
La Fraternité Saint-Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui ?
Avec ses quatre cent trois prêtres qui ont une moyenne d'âge de 35 ans, je suis convaincu que la Fraternité Saint Pie X est une cavalerie légère qui essuie les coups en souffrant à la fois pour et par l'Eglise. Nous répétons que ces deux mille ans d'Eglise dont nous sommes issus ne sont pas pour nous une nostalgie mais un principe d'action et de conversion. On le voit bien à Paris où beaucoup de gens qui avaient arrêté de pratiquer retrouvent une très grande ferveur. Vous me parlez de stratégie. Je ne peux mieux faire que de vous citer le pape saint Pie X, patron céleste de notre Fraternité, dans sa première encyclique E supremi apostolatus : « L'action, voilà ce que réclame les temps présents mais une action qui se porte sans réserve à l'observation intégrale et sans réserve des lois divines et des prescriptions de l'Eglise, à la profession ouverte et hardie de la religion, à l'exercice de la charité sous toutes ses formes sans nul retour sur soi ni sur ses avantages terrestres. D'éclatants exemples de ce genre donnés par tant de soldats du Christ auront plus tôt fait d'ébranler et d'entraîner tes âmes que la multiplicité des paroles et la subtilité des discussions... ». Je crois que l'histoire de saint Nicolas depuis le commencement est l'histoire de ce courage, de cette résolution et de cette fierté, qui n'a que faire de jouer profil bas.