25 juillet 2008

[Abbé Claude Barthe] Les Nominations Episcopales en France : Les lenteurs d’une mutation
Chapitre III - Paris, modèle pour une "troisième voie" ?
25 juillet 2008 - lettre 124 de paixliturgique.com
Les Nominations Episcopales en France : Les lenteurs d’une mutation
Chapitre III - Paris, modèle pour une "troisième voie" ?
Nous poursuivons avec cette nouvelle lettre la publication de l'excellente étude de l'abbé Claude Barthe sur "Les nominations épiscopales en France", un texte qui de chapitre en chapitre nous aide à mieux comprendre la situation actuelle et les crispations et blocages étonnants que l'on constate au sein de trop nombreux diocèses français...
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ISBN 978-2-915844-12-2, 64 pages
Diffusion/distrinution : Serdif
NB : Les notes de l'auteur sont incorporées par nous en italique dans le texte lui-même

LES NOMINATIONS EPISCOPALES EN FRANCE : LES LENTEURS D'UNE MUTATION


CHAPITRE III : PARIS, MODELE POUR UNE TROISIEME VOIE ?


Le renouvellement que les « nouveaux prêtres » attendent aurait entre autres pour effet – ce serait même la preuve qu’il est réellement en train d’advenir – la nomination d’évêques « de communion » (ou, si l’on veut, d’évêques selon le motu proprio de 2007) donnant une vraie place pastorale aux prêtres et aux communautés traditionnelles qui représentent déjà actuellement en France un potentiel, selon les plus basses estimations, de 5% des prêtres en activité. J’ai donné dans les chapitres précédents deux raisons au fait que perdure le recrutement d’évêques conservateurs : 1/ l’existence d’un système de cooptation au sein d’une caste de responsables « conformes » ; 2/ la persistance de rouages romains en phase avec cette classe dirigeante. Mais il faut en considérer une troisième : ce qu’on pourrait qualifier d’ « effet de cliquet » : pas de retour en arrière ! Il s’agit d’un barrage qui est, cette fois, le fait des plus classiques parmi les prélats français postconcilaires, ceux qui sont en somme partisans d’une « troisième voie », à mi-chemin entre l’interprétation « progressiste » du Concile, et son refus traditionaliste, au premier rang desquels a été le cardinal Jean-Marie Lustiger. Du coup a été bloqué jusqu’à aujourd’hui un des moyens possibles de sortie de crise : l’union des forces vives existant encore dans le catholicisme français. Ajouté aux deux raisons précédentes, le poids de cette « troisième voie » dans la nomination des évêques de France a empêché une franche réaction (je précise tout de même : au sens où on parle de réaction d’un grand malade) ; et ce poids s’explique, certes pas uniquement, mais tout spécialement, par la personnalité exceptionnelle du cardinal Lustiger, véritable « faiseur d’évêques » durant un quart de siècle.


Paris, locomotive des diocèses de France


L’élection, à la tête de la Conférence de Evêques de France de l’archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois, en novembre 2007, immédiatement après son élévation au cardinalat, a-t-elle été une consécration de la ligne du défunt cardinal Lustiger ? En tout cas, elle ne saurait être considérée, au-delà des apparences, comme un « verrouillage ». Dans la mesure où les plus hauts prélats français sont actuellement dans un état d’incertitude attentiste, ce serait plutôt une mesure conservatoire, comme diraient les juristes, en attendant que le procès soit jugé au fond. En matière ecclésiastique, l’adage ultime est, comme l’on sait : « Rome a parlé, la cause est entendue ». Mais le problème est que ce que le Rome de Benoît XVI veut dire sur le gouvernement des diocèses est encore loin d’être très clairement exprimé.

A l’élection de Mgr Vingt-Trois se sont ajoutées celle de Mgr Laurent Ulrich comme vice-président et celle de Mgr Simon,l’évêque intellectuel du « parti du mouvement », comme autre vice-président. En fait, dans le monde de la conférence épiscopale et des évêchés de l’hexagone, l’élection de deux prélats lustigériens (Mgr Vingt-Trois et Mgr Ulrich) n’a provoqué aucune surprise sinon par sa rapidité. Un bon nombre d’évêques ont voté pour l’archevêque de Paris, prélat considéré comme classique, même contre leur sensibilité, pour deux raisons essentielles. D’abord, à la manière d’un réflexe analogue à celui des cardinaux élisant Joseph Ratzinger en avril 2005, comme un dernier recours dans une situation plus que dramatique. [Même si les deux personnages n’ont absolument rien de comparable, il y a, en revanche, une certaine analogie dans la psychologie de leur électorat : une espèce de « sauve qui peut » des cardinaux du conclave de 2005 élisant Benoît XVI, qui n’est pas sans faire penser aux parlementaires du Front Populaire de 1940 donnant les pleins pouvoirs à Pétain]. Comparée à la situation catastrophique de la plupart des diocèses français, la situation parisienne est apparue aux évêques réunis à Lourdes en novembre 2007, comme nettement meilleure au moins relativement et malgré de nombreux signes inquiétants. A Paris, les prêtres sont plus jeunes, plus nombreux, plus diplômés aussi. Ils passent par un système de formation spécifique : généralement mieux entourés par leurs paroissiens, ils sont en phase avec le public qui fréquente majoritairement leurs églises.

Malgré le très inquiétant tarissement des legs – phénomène général dans l’église de France – , le diocèse reste encore riche, et le budget bien géré de telle grosse paroisse de Paris n’est pas loin de soutenir en importance la comparaison avec celui de bien des diocèses, avec en plus la garantie de ne pas passer dans le rouge. La gestion du patrimoine immobilier, les rénovations et constructions de l’importance du collège des Bernardins (de l’ordre de 50 millions d’euros, avec mécénats assez considérables) et du nouveau siège de la Conférence des Evêques, avenue de Breteuil (avec la participation des autres diocèses) ne sont pratiquement plus concevables qu’à Paris. Tout s’est donc passé à Lourdes en novembre 2007, comme si l’évêque du seul diocèse qui semble encore « bien marcher » était constitué locomotive de tous les autres. Mais il est clair que son élection était également due à la continuation de la « ligne Lustiger » pour contrer efficacement la « tentation » romaine de trop céder aux traditionalistes. Ce n’est pas un secret : la naissance turbulente de l’Institut du Bon Pasteur et le motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007 ont beaucoup malmené la susceptibilité de nos évêques. Or, ne disait-on pas justement que si Mgr Vingt-Trois n’avait pas été de la première promotion cardinalice réalisée par Benoît XVI, c’était pour lui donner une semonce à propos de son opposition à toute ouverture vers le monde traditionnel ? A plusieurs reprises, en effet, il avait attiré directement et indirectement l’attention du pape sur les « dangers » qu’allait représenter la libéralisation du rite liturgique ancien. Et il avait continué avec détermination à ne pas accorder de ministères parisiens à des prêtres appartenant à des communautés Ecclesia Dei. [Sur l’accueil de la « forme extraordinaire » du rite romain, une réunion importante des archevêques métropolitains s’est tenue à Paris, le 11 septembre 2007, au cours de laquelle la position de Mgr Vingt-Trois se serait exprimée comme médiane entre les plus réticents des métropolitains aux décisions romaines (NNSS. Simon, Pontier) et les plus favorables (les cardinaux Ricard et Barbarin). Mais les archevêques ne se seraient pas entendus, comme on l’a prétendu, pour barrer systématiquement la porte aux instituts Ecclesia Dei, ce qui eût relevé d’une gestion suicidaire. En revanche, il est patent que la ligne parisienne actuelle est devenue grosso modo celle d’un grand nombre d’évêques : accorder davantage d’espace aux messes déjà concédées au titre du motu proprio de 1988, pour détourner au maximum les curés d’accepter les demandes faites au titre du motu proprio de 2007. Une particularité parisienne : le diocèse dispose encore de la possibilité de tenir les espaces qu’il concède au rite tridentin sous très haute surveillance].


Jean-Marie Lustiger : le charisme au secours de l’institution


L’élection du cardinal Vingt-Trois à la présidence de la Conférence des évêques de France est assurément une victoire post mortem du cardinal Lustiger. Ce dernier n’avait en effet jamais pu obtenir, même de loin, les voix qui l’auraient porté à cette présidence, malgré son charisme et le grand nombre d’évêques qui lui devaient leur nomination. Il reste que l’expérience Lustiger est exemplaire d’une tentative, qu’on a pu croire un moment gagnante, de « bonne interprétation » du Concile sur le plan pastoral d’un diocèse. Les vingt-quatre ans qu’elle a duré (1981-2005) ont correspondu au règne de Jean-Paul II (1978-2005), les deux hommes s’accordant réciproquement, comme on le sait, une grande sympathie. Ceci permit ainsi au diocèse de Paris de recueillir des faveurs telles que l’érection de l’Ecole cathédrale en « Faculté de théologie Notre-Dame de Paris », pour contrer les deux autres instituts d’études supérieures « progressistes », à savoir l’Institut catholique de Paris et les Facultés théologiques et philosophiques jésuites du Centre Sèvres.

L’œuvre de Mgr Maxime Charles, recteur de Montmartre de 1959 à 1985, se trouve à l’origine lointaine de la nomination de Jean-Marie Lustiger au siège de Paris en 1981, avec toute sa signification. Le Centre Richelieu (fondé par lui en 1945, comme aumônerie des étudiants parisiens), puis la basilique de Montmartre, sa liturgie, ses pèlerinages en Terre Sainte, son réseau de formation de jeunes universitaires ont été à Paris, avant le Concile, comme le chant du cygne d’une pastorale de conquête. Cette œuvre était contemporaine de la dernière époque du Mouvement liturgique, le Montmartre de Maxime Charles étant plus proche de la « droite » de ce mouvement (Solesmes) que de sa « gauche » (le Centre de Pastorale liturgique). L’expérience de Montmartre a tenté de se maintenir aux lendemains de Vatican II et a été le grand foyer d’opposition liturgique, intellectuelle et spirituelle aux dérives parisiennes de l’« esprit du Concile » rhabillé par Mai 68. La revue Résurrection était emblématique de cette différence manifestée à Paris même contre la ligne « soixante-huitarde » que représentait l’entourage du cardinal Marty et de son auxiliaire, Mgr Georges Gilson. Fondée en 1956 par le même Maxime Charles, soutenue par les PP. Daniélou, Von Balthasar, Bouyer, Le Guillou, nombre de ses jeunes et brillants collaborateurs, anciens khâgneux et normaliens (Robert Armogathe, Rémi Brague, Jean-Luc Marion, etc.), furent ensuite aspirés par le P. Hans Urs von Balthasar au bénéfice de l’édition française de la revue Communio.

En lui succédant à la direction du Centre Richelieu (de 1959 à 1969), puis en devenant curé d’une paroisse (Sainte-Jeanne-de-Chantal), l’abbé Lustiger devint un représentant de plus en plus remarqué de cette tendance ni progressiste ni intégriste, mais avec une image moins conservatrice que Maxime Charles. Tout comme le groupe de Montmartre, il fut violemment commotionné par la résonance des évènements de 68 dans l’Eglise. Une part importante de son livre d’entretien Le choix de Dieu (Editions de Fallois, 1987), écrit certes beaucoup plus tard, repose implicitement sur la possibilité d’une « troisième voie », qu’une volonté pastorale déterminée, la sienne, pouvait appliquer à l’Eglise de Paris, et à partir de ce modèle, à la France. Il n’est pas douteux que cette sensibilité lui a valu d’être nommé à Orléans, lorsqu’il fallut trouver un successeur au Gaillot avant la lettre que fut Mgr Riobé, mort brusquement en 1979. Est-ce, comme on le dit, Maxime Charles qui souffla à l’oreille du pape, lors de son premier voyage en France, en 1980, le nom de son ancien collaborateur au Centre Richelieu pour le remplacement du Cardinal Marty ? Le fait est que c’est en quelque sorte la doctrine montmartroise, revue et corrigée par le puissant charisme du petit parisien, juif converti, devenu archevêque du principal siège de France, qui va être appliquée à Paris.

Fort de son ascension fulgurante voulue par Jean-Paul II, enlevé au siège d’Orléans après quatorze mois seulement, puis cardinal deux ans plus tard, Jean-Marie Lustiger eut toute facilité pour expérimenter par une action forte son utopie (à tous les sens positifs et minoratifs du terme). Durant son épiscopat, il déploya cette politique qui voulait faire de Paris une ville-phare de la pastorale wojylo-lustigérienne : « Tout le Concile, mais rien que le Concile ». Il commença par exemple en invitant en 1983, le cardinal Ratzinger pour tenir une conférence à Notre-Dame (réitérée à Notre-Dame de Fourvière) sur la « nouvelle catéchèse » faisant l’apologie du genre littéraire du Catéchisme du concile de Trente. Et une de ses dernières initiatives fut celle du grand rassemblement dit « Toussaint 2004 », où des journées purement parisiennes reproduisaient la dynamique des JMJ.


La pépinière Lustiger


La conjoncture était favorable. C’était le temps où l’Action Catholique démonétisée laissait le champ libre aux nouveaux mouvements et à des groupes catholiques à l’identité assumée se reconnaissant, entre autres, dans l’hebdomadaire Famille Chrétienne. Dans le domaine sensible des vocations, les années quatre-vingt ont vu, par un phénomène de vases communicants, une montée des vocations au profit de séminaires classiques, comme ceux de Paray-le-Monial, d’Ars, du nouvel ensemble de formation de Paris tandis qu’elles fléchissaient dans le monde traditionnel. [Schématiquement, on peut dire que de 1980 à 1988, les rentrées dans les séminaires de la Fraternité Saint-Pie-X ont connu une baisse sensible, alors que les séminaires « identitaires » croissaient, ce que l’ont peut sans doute attribuer à l’ « effet Jean-Paul II ». Effet apparemment décevant pour les jeunes appelés, puisqu’à l’époque du motu proprio de 1988, alors que se créaient des séminaires tridentins officiels, les rentrées ont commencé à baisser dans les séminaires « identitaires » (Ars, etc.), celles enregistrées dans les maisons de formation de la FSSPX restant, grosso modo, stables. Puis le motu proprio de 2007, avant même sa parution, produisit un nouvel effet de croissance de l’ensemble des vocations vers les rite tridentin, l’ensemble des autres séminaires tombant au plus bas étiage jamais atteint]. En outre, la capitale aspire bien des étudiants de province qui, lorsqu’ils se découvrent une vocation, ont le même attrait pour les études ecclésiastiques parisiennes qu’ils avaient pour les études civiles en Sorbonne ou ailleurs. Un nouveau style de formation va donc s’organiser à Paris, semblable toutes choses égales à celle des formations sacerdotales et religieuses classiques ou traditionalistes, qui sont nées « en réaction » un peu partout dans le monde. A Paris, comme ailleurs, et même plus qu’ailleurs en raison de l’ambition affichée, ces maisons cherchaient (et cherchent toujours) à créer un milieu protecteur et porteur, s’auto-défendant par un réflexe classique, dans un corps social qui s’atomise au moyen de l’exclusion de tout individualité n’ayant pas « l’esprit de communauté ». Le regroupement des séminaristes par maisonnées de jeunes, que le cardinal Lustiger, cessa désormais d’envoyer au séminaire d’Issy-les-Moulineaux et au séminaire des Carmes, a permis de réaliser ce dessein. En 1984 , il créa, rue de la Santé, la maison Saint-Augustin (dont le premier supérieur a été le P. Eric Aumonier, aujourd’hui évêque de Versailles, diocèse dans lequel il cherche à reproduire l’expérience parisienne [ce que n’a pas osé faire à Angers, malgré de pressants conseils, Mgr Bruguès]), puis un premier cycle réparti dans des foyers dépendants de paroisses (St-Denys-du-St-Sacrement, St-Louis-en-Ile, etc.), et un second cycle exclusivement parisien, les séminaristes prenant leurs cours à l’Ecole cathédrale. Celle-ci est en cours d’installation dans les prestigieux locaux du collège des Bernardins, fondation cistercienne du XIIIème et du XIVème siècle dans laquelle campait une caserne de pompiers. Les Bernardins auront été la dernière grande réalisation du cardinal Lustiger, dont il aurait voulu faire – mais qui a jamais vraiment cru que ce soit possible ? –, une reviviscence, après Vatican II, du Saint-Sulpice post-tridentin, un lieu emblématique d’un renouveau pour la France et au-delà.

Ces nouveaux clercs, dont certaines promotions fournirent un nombre d’ordinands d’importance exceptionnelle depuis le Concile, permirent de résorber peu à peu les poches de résistances « progressistes », parfois à la manière d’un coup de force (le remplacement de l’équipe sacerdotale de Saint-Séverin, en 1986), le plus souvent en profitant de mutations ou d’arrivées à l’âge de la retraite (le P. de Lachaux à Saint-Hippolyte, spécialiste de la communion aux divorcés remariés et des sermons dialogués avec l’assistance, le P. de Saint-Victor à Saint-Pierre de Montrouge, le P. Legoedec, à Saint-Bernard de Montparnasse, etc.). De sorte que la majorité des paroisses parisiennes ont conservé une vitalité que l’on retrouve uniquement en province dans telle ou telle paroisse déterminée. Certes, le nombre des messes est pratiquement réduit au tiers par rapport à ce qu’il était avant le Concile, mais l’assistance aux messes dominicales reste généralement convenable, l’organisation paroissiale vivante, le scoutisme dynamique ; sans parler des églises comme La Trinité ou Saint-Gervais, animées par des communautés nouvelles (l’Emmanuel, les Fraternités monastiques de Jérusalem), au public exceptionnellement jeune et nombreux. Ce clergé du cardinal Lustiger a pu ainsi maintenir (ou a vu se maintenir) la pratique religieuse à un niveau qui a pu faire croire à une possibilité de remontée, avant qu’un nouvel effritement ne démente les espérances.

Plus difficilement, J.-M. Lustiger a tenté de maintenir la fréquentation des catéchismes et de relever le niveau des connaissances religieuses des enfants. On ignore souvent que le diocèse de Paris s’est lancé dans une entreprise ambitieuse d’édition systématique de nouveaux manuels pour tous âges et niveaux, avec des instruments comme : Pour grandir dans la foi (Le Sénevé/Cerp, 2000), Connaître la foi catholique (Le Sénevé/Cerp, 2000, préface du cardinal Lustiger), etc. Il est vrai que, dans certaines paroisses parisiennes, persistait l’inspiration postconciliaire, représentée par le fameux « parcours » Pierres Vivantes de 1981 [Pierres vivantes. Recueil catholique de documents privilégiés de la foi (Editeur Catéchèse). Le recueil sera remanié en 1985 puis en 1994. Il restera la « bête noire » des intellectuels lustigériens (Denise et Yves-Henri Nouailhat, « La catéchèse des enfants en France », Communio, juillet-août 2001, pp. 63-79)]. Au total, les prêtres formés dans la filière lustigérienne voulaient donc ignorer les motivations « progressistes » des générations précédentes. Ils tenaient au célibat sacerdotal obligatoire comme un signe prophétique contre un monde décadent, et recommençaient à porter un col romain (alternant éventuellement avec la chemise Lacoste, selon le degré de l’échelle « identitaire » où l’on se positionne), ceci d’ailleurs comme la majorité des prêtres français ordonnés depuis le milieu des années quatre-vingt. Mais ils étaient nettement plus homogènes que les jeunes prêtres formés hors de Paris : on ne trouvait, dans le premier diocèse de France, pratiquement aucun mouton noir progressiste, ni surtout l’habituel proportion d’environ dix pour cent de séminaristes favorables à la soutane. Ces derniers généralement (mais pas toujours) intéressés par le rite ancien de la messe, proches des milieux traditionnels, ont été détournés ailleurs (la communauté Saint-Martin notamment) ou rendus à la vie civile – avec d’autres non-conformes – avant l’appel aux ordres. Pierre D’Ornellas, aujourd’hui archevêque de Rennes, fut l’évêque auxiliaire de Paris sans doute le plus attentif à préserver les jeunes lévites de la capitale de tout virus intégriste, aidé par des cadres ecclésiastiques de ligne identique, comme Antoine Guggenheim qui a longtemps présidé le studium Notre-Dame. A qui doit-on l’interdiction intimée aux séminaristes diacres de porter le col romain ? Au total, ces clercs lustigériens étaient destinés à devenir exemplairement, comme le cardinal aimait à le leur dire, « la première génération qui aurait enfin compris le Concile ». Et pourquoi les évêques de France n’auraient-ils pas été à l’image des prêtres parisiens ? L’une des préoccupations majeures de Jean-Paul II était d’ailleurs de pratiquer dans le monde entier une politique de nominations ayant pour effet de remplacer les majorités étrangères d’esprit « conciliaire de gauche » qui avaient prévalu sous Paul VI, par des majorités d’esprit « conciliaire de droite ». [Etant précisé que ces considérations mériteraient d’être beaucoup plus affinées et nuancées, notamment en raison de l’évolution des tendances considérées tout au long du pontificat de Jean-Paul II. Par exemple, au Brésil, les nominations ont certes tendu à résorber la majorité épiscopale d’avant la chute du communisme qui était favorable à la théologie de la libération. Mais celle-ci a depuis évolué et s’est elle-même « recentrée », de sorte que, lorsqu’on constate aujourd’hui que la conférence épiscopale se partage à égalité pour et contre la théologie de la libération, on veut plutôt dire que la moitié des évêques est pro-Benoît XVI et que l’autre moitié relève de l’opposition au pontife actuel]. Un homme, le cardinal Lustiger était tout désigné pour appliquer cette politique à la France, le pape et l’archevêque de Paris étant, chacun dans son propre style, adeptes de l’instauration de ce que je qualifie de « troisième voie ». (Le cardinal Ratzinger l’infléchira, pour sa part, symptomatiquement, en lui appliquant, dans son Entretien sur la foi de 1985, l’appellation de « restauration »).

Il reste donc à voir comment Jean-Marie Lustiger a aussi cherché à appliquer à l’ensemble de l’Eglise de France son projet de « recentrage » en faisant en sorte de peser de tout son poids dans la nomination des évêques.

La suite, et la fin, de cette étude de Claude Barthe dans notre prochaine lettre....