15 novembre 2007





Ce ne sont pas les savants, mais les saints, qui ont défendu la Tradition.
Novembre 2007 - abbé Jean-Baptiste Frament - Extrait du Sainte-Anne n° 193
Ce ne sont pas les savants, mais les saints, qui ont défendu la Tradition.
Par l'abbé Jean-Baptiste Frament

Mgr Lefebvre nous avait prévenu avant de nous quitter pour le ciel : « Il faut vous préparer à un long combat ». Effectivement le combat dure, se prolonge, se complexifie même et le champ de bataille peut parfois sembler étrangement confus à certains.
La tentation de facilité se déguise alors en tentation de simplicité : tout serait tellement plus facile si les choses étaient simples, s’il n’y avait que deux camps bien partagés : il y aurait les bons et les méchants. Nous serions les bons, ils seraient les méchants et tout serait tellement plus sécurisant… Mais dans l’évolution de la crise aujourd’hui, il y a de quoi en perdre son latin, avouez ! Entre la Fraternité Saint-Pie X qui résiste toujours à l’envahisseur moderniste et repousse sagement les avances d’un accord pratique, les « Saint-Pierre » qui essayent ne pas se faire aspirer dans les diocèses par la nouvelle messe, la bande de copains du « Bon Pasteur » qui croit retrouver un « grand saint Pie X » en un pape qui vient de recevoir la bénédiction du rabbin, le « Christ-Roi » qui se fait tout petit pour ne pas prendre un mauvais coup, les cavaliers seuls qui tentent leur chance dans leur coin, et maintenant les « motu proprio » qui se mettent à dire la bonne messe dans un contexte douteux, … et tous les autres encore …, comment s’y retrouver ?
Oui, la tentation de facilité peut se présenter sous cette forme : « C’est trop compliqué pour moi, simple fidèle », « Je n’ai pas la théologie suffisante pour m’y retrouver dans ce labyrinthe », « Après tout, pourvu qu’on ait la bonne messe » … Bref, toute cette crise serait une affaire de savants théologiens, mais le Bon dieu n’en demanderait pas tant aux simples fidèles : les « petites âmes » devraient se contenter de souffrir et de se sanctifier dans leur coin, sans prendre parti, en attendant que la situation s’éclaircisse.
Comme nous l’avons dit, c’est une tentation. Tentation de découragement, de lassitude. La durée du combat n’est pas une invitation à baisser les bras, au contraire ! Nous devons prendre les moyens de tenir dans la durée et d’éviter justement ce genre de tentation.
Un de ces moyens est de répondre à ce faux raisonnement et de rappeler que ce ne sont pas les savants, les grands théologiens, qui ont défendu la tradition, mais les saints. C’est l’amour de Dieu et de son Eglise qui a décidé nos anciens à se battre pour défendre la Foi catholique. Et parmi eux il y avait justement de nombreuses « petites âmes », ces âmes simples, possédant bien leur catéchisme et animées d’un grand amour de Dieu et du prochain. Ce sont elles qui ont soutenu et alimenté ce combat. Certes, elles ont été guidées par ce grand évêque que la Providence nous avait préparé en la personne de Mgr Lefebvre, mais c’est bien leur esprit de foi et leur sens de l’Eglise qui les ont guidées vers lui. Pour y voir clair, il n’a pas tant fallu de savants raisonnements, mais seulement l’authentique « sensus fidei », l’esprit de foi, le sens de la foi (l’authentique, pas celui galvaudé par quelques laïcs indépendants qui se posent en censeur de la Fraternité).
Je prendrai pour exemple ce commentaire venu de l’autre bout du monde, la Nouvelle-Calédonie. Lors des affaires bordelaises, un agité avait tenté d’exporter le ferment de contestation sur l’île. Il s’était simplement entendu répondre : « Mais là-bas (en Métropole), ces prêtres désobéissent ! ». Ces fidèles Caldoches n’étaient pas docteurs en Théologie pour les Temps de Crise. Mais ils ont la foi, ils refusent au quotidien la facilité et les erreurs de l’église conciliaire et ils savent distinguer une désobéissance légitime, quand la foi est en jeu, du désir d’indépendance de prêtres en mal de faire parler d’eux.
Pour répondre plus profondément encore à cette question, relisons ces extraits de Mgr de Castro-Mayer, tirés de sa « Lettre Pastorale sur les Problèmes de l’Apostolat Moderne » donnée en préface à son « Catéchisme de vérités opportunes qui s’opposent aux erreurs contemporaines » :
"Ainsi, avant tout, montrez que, par sa nature propre, la Foi ne se contente pas de ce que quelques-uns appellent ses lignes générales, mais exige l'intégrité et la plénitude de soi.
Afin de vous faire comprendre, donnez comme exemple la vertu de chasteté. A son égard, toute concession prend un caractère de tache sombre et toute imprudence la met tout entière en danger. On a pu comparer l'âme pure à une personne debout sur une sphère; tant qu'elle conserve sa position d'équilibre, elle n'a rien à craindre, mais toute imprudence de sa part peut la faire glisser au fond de l'abîme. Et c'est pourquoi les moralistes et les auteurs spirituels sont unanimes à affirmer que la condition essentielles à la conservation d'une vertu angélique est une prudence vigilante et intransigeante.
On peut en dire tout autant en matière de Foi. Tant que le catholique se place sur le point d'équilibre parfait, sa persévérance sera sûre et facile. Or, ce point d'équilibre ne consiste pas dans l'acceptation de quelques lignes générales de Foi, mais dans la profession de toute la doctrine de l’Eglise; profession faite, non du bout des lèvres, mais avec l'âme tout entière, impliquant l'acceptation loyale et cohérente, non seulement de ce que le Magistère lui enseigne, mais encore de toutes les conséquences logiques de cet enseignement. Pour ce faire, il est nécessaire que le fidèle possède cette Foi vive pour laquelle il est capable d'humilier sa raison personnelle devant le Magistère infaillible et de discerner avec pénétration tout ce qui, directement ou indirectement, s'oppose à l'enseignement de l'Eglise. Mais s'il abandonne tant soit peu cette position de parfait équilibre, il commence à sentir l'attraction de l'abîme. Et c'est pourquoi, poussé par la prudence et dans l'intérêt du troupeau à Nous confié, Nous vous adressons, fils bien-aimés, cette Lettre Pastorale sur l'intégrité de la Foi.
A cet égard, il convient d'insister encore sur un point souvent oublié de la doctrine de l'Eglise. Qu'on ne pense pas qu'une Foi aussi éclairée et robuste soit le privilège des savants, de telle sorte qu'on ne puisse recommander qu'à ceux-ci la position d'équilibre idéal décrite ci-dessus. La Foi est une vertu et, dans la Sainte Eglise, les vertus sont accessibles à tous les fidèles, ignorants ou savants, riches ou pauvres, maîtres ou élèves. L'hagiographie chrétienne en est une preuve. Sainte Jeanne d'Arc, ignorante bergerette de Domrémy, confondait ses juges par la sagacité avec laquelle elle répondait aux arguties théologiques dont ils se servaient pour l'induire en propositions erronées et justifier ainsi sa condamnation à mort. Saint Clément-Marie Hofbauer, au XIX° siècle, humble travailleur manuel, qui assistait, par goût, au cours de théologie de l'illustre Université de Vienne, discernait dans un de ses maîtres le ferment maudit du jansénisme, qui échappait au discernement de tous ses élèves et des autres professeurs. « Je vous remercie, ô Père, Seigneur du Ciel et de la Terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux petits » (Luc X 21).
Pour que nous ayons un peuple ferme et logique dans la Foi, il n'est pas nécessaire que nous en fassions un peuple de théologiens. Il suffit que celui qui aime profondément l'Eglise s'instruise des vérités révélées selon son niveau de culture générale et possède les vertus de pureté et d'humilité nécessaires pour réellement croire, comprendre et goûter les choses de Dieu. De même, pour que nous ayons un peuple vraiment pur, il n'est pas nécessaire de faire de chaque fidèle un moraliste. Les principes fondamentaux et les connaissances essentielles à la vie courante, dictés, en grande partie, par la conscience chrétienne bien formée, sont suffisants. C'est ainsi que nous voyons, très souvent, des personnes ignorantes qui ont un jugement, une prudence et une élévation d'âme supérieurs à ceux de bien des moralistes de science consommée."
Ces lignes magnifiques nous rappellent avec force que si la science est utile, c’est avant tout la vie selon l’esprit de foi qui fait les saints. Cette même foi professée et vécue dans son intégralité a permis, et permettra encore avec la grâce de Dieu, la résistance de la Tradition au poison des nouveautés.
Que l’esprit de foi qui animait notre vénéré fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, nous maintienne paisiblement fidèle dans le combat pour l’Eglise. Que la vaillance d’âme de ces élites soit pour nous un exemple. Ils ont été nos glorieux Pères. Montrons nous leurs dignes fils.
Abbé Jean-Baptiste FRAMENT †
(Extrait du Sainte-Anne n° 193 de novembre 2007)