5 décembre 2006

[Abbé Ch. Héry - Le Mascaret] La Tradition, « différence structurante de la vie ecclésiale » ?

SOURCE - Abbé Ch. Héry - Le Mascaret - Novembre/décembre 2006

La multitude rassemblée par l’Institut du Bon Pasteur à la Mutualité, ce 20 novembre, autour de la Tradition catholique, notre bien commun, a manifesté l’enthousiasme et l’espérance que suscite l’actualité de l’Église. Quel chemin parcouru depuis ce jour où notre petite barque a été mise à flot, le 8 septembre dernier !… Un chemin qui n'a pas été facile, sous les projecteurs des médias et dans la ligne de mire de ceux qui focalisent sur une église bordelaise et sur une poignée de prêtres une émotion qui secoue, paraît-il, tous les catholiques français !
 
Ceux-ci pourtant, lorsqu’on les interroge, manifestent non point leur crainte ni leur émotion, mais leur désir que soit rendue libre la Messe traditionnelle. Ainsi, l’appel à voter du Figaro, le 10 novembre 2006, révèle que 73% des catholiques français souhaitent cette liberté. Ce chiffre écrasant confirme le sondage réalisé par CSA le 8 novembre, et publié par l’association Paix liturgique : sur un échantillon de 1007 sondés, 66% des catholiques se disent favorables à la libéralisation de la Messe traditionnelle. La discordance entre ce souhait massif des fidèles et certaines déclarations épiscopales est évidente.

Heureusement, le sens de Église et le souci de la communion, exprimés après moult débats par l’épiscopat réuni en assemblée à Lourdes, au début de novembre, contribuent à ouvrir une voie pour l’avenir, en union avec notre Pape Benoît XVI et sous la houlette du cardinal Jean-Pierre Ricard.
 
À cette assemblée de Lourdes 2006, les évêques français se sont préoccupés des « différences structurantes de la vie sociale. » Parler le langage de ceux dont on cherche à être compris requiert un léger effort. Il est permis, dans ce but, de soulever cette question : n’est-ce pas la Tradition qui devrait représenter désormais, sous l’impulsion du pape et de nos évêques, non plus une simple « différence », mais une richesse intrinsèque et « structurante de la vie ecclésiale » ?
La demande des évêques à lourdes
À Lourdes et par diverses déclarations, des évêques ont réclamé de l’Institut du Bon Pasteur des « signes de communion », voire « des gestes d’assentiment sans équivoque au concile Vatican II » (Message de l’Assemblée au Cal Ricard, 9.11.2006). D’aucuns nous ont presque attribué la promulgation à venir du Motu Proprio du Saint Père libéralisant la Messe grégorienne – comme si nous en étions les instigateurs, voire les auteurs ! Comme quoi, on ne prête qu’aux riches !…

Pour répondre succinctement à ces demandes de nos évêques, trois points paraissent fondamentaux.
 
1) Le signe certain de notre communion.
Notre décret d'érection par le Saint Siège, du 8 sept. 2006, fête de la Nativité de la Vierge, est l'expression certaine de notre communion avec l’Église romaine et avec toutes les Églises en communion avec elles. Pourquoi refuser ou occulter ce « signe » ? On ne peut se dire en communion avec le Saint Père et douter de notre communion avec l’Église catholique, puisqu’il l’a lui-même reconnue.

Sur quoi la communion ecclésiale repose-t-elle ? Certes, on ne peut la confondre avec le règne autoritaire de l’arbitraire ou de l’idéologie, fût-elle conciliaire. Le cardinal Ricard, à Lourdes, invite tous les évêques à quitter ces « lectures idéologiques » qui se recommandent du dernier Concile et prétendent en distiller « l’esprit ». La communion catholique repose sur un triple lien : 1- la Tradition doctrinale et objective des vérités de la foi ; 2- la Tradition des rites reçue des Apôtres ; 3- la succession apostolique du Siège de Pierre. Restant sauf ce triple lien, la communion implique un espace d’échange, de dialogue et de libre débat, sans invective ni esprit de système, sur ce qui n’entre pas dans la foi définie par les papes ou les conciles œcuméniques, ou reçue de la Tradition. Obéissance pour ce qui oblige la foi, prudence dans la recherche, et liberté pour débattre du reste. Cette liberté rendue par Benoît XVI à l’intelligence catholique et à l’expérience de la Tradition ne doit pas faire peur. Venant d’en-haut, c’est un signe de santé et d’oxygénation pour tout le Corps de l’Église.
 
2) Que signifie pour les évêques français « l’assentiment au concile Vatican II » ?
Cette expression a-t-elle été clairement définie par eux ? Le charisme de la communion ecclésiale dans l'Esprit Saint nous invite à peser les paroles conclusives du discours du cardinal Ricard, le 4 novembre à Lourdes, à propos du concile oecuménique Vatican II : « Je crois qu'il ne faut pas être habité aujourd'hui par la crainte et la peur. Là aussi, vivons la confiance. Pourquoi les événements récents [fondation de l’IBP] ne seraient-il pas l'occasion, pour nous en France, de faire une relecture paisible de notre réception du Concile, d'en relire les grands textes fondateurs, d'en saisir à nouveau frais les grandes intuitions et d'en repérer les points qui méritent encore d'être pris en compte ? Ce n'est pas à une lecture idéologique de Vatican II que nous sommes appelés mais bien à une relecture spirituelle, dans l'action de grâce de ce que le Seigneur nous a donné de vivre et dans une disponibilité renouvelée pour la mission. »

Pesons le poids des mots, à défaut du choc des photos : « repérer les points qui méritent encore d’être pris en compte » dans le Concile. Chacun voit, selon les mots du cardinal Ricard, qu’il reste à effectuer une sorte tri, pour ne garder que « les points qui méritent encore d’être pris en compte ». Rien n’est dit des critères ni de l’éclairage sous lequel devra s’effectuer ce tri, ni des point qu’il faudrait garder ou mettre de côté. Mais le Président des évêques constate la nécessité d’un travail de repérage : n’est-ce pas celui qui prépare « l’interprétation authentique » voulue par Benoît XVI et auquel, à notre modeste place, nous sommes engagés à coopérer ?

La réception du Concile, quant à elle, depuis quarante ans, ne fut pas satisfaisante puisqu’il faut procéder désormais, selon ce discours du 4 novembre, à la « relecture paisible », non pas du texte qui ne revêt plus ici tant d’importance, mais de la « réception » qu’on en a fait. Le cardinal Ricard a répondu d’avance aux évêques qui nous demandent un « geste d’assentiment sans équivoque » : Vatican II ne peut plus être considéré aujourd’hui comme objet d’un « assentiment » tel qu’il obligerait la foi des fidèles, mais de simple « réception », à savoir de tri, de débat respectueux des personnes, et d’interprétation.

La réception, selon Jean-Yves Lacoste (Dictionnaire critique de théologie, PUF, 2002), est un « processus » qui prend du temps. Le chantier ne fait que commencer : « le Concile Vatican II est encore à recevoir », ajoute notre archevêque en conclusion de l’Assemblée, reprenant une idée constante du cardinal Ratzinger depuis 1985. Cette difficulté de « réception » qui dure depuis quarante ans, dans la majeure partie de l’Église, renvoie évidemment au problème de la transmission de la Tradition.

En résumé : acte du Magistère authentique produit par l’autorité compétente, le concile œcuménique Vatican II ne peut cependant requérir, sur les points de nouveauté qu’il explore, l’assentiment de la foi des fidèles : il se refuse à exiger cet assentiment, se gardant de donner aucune définition infaillible (voir ci-dessous). Si donc le concile doit faire l’objet d’une réception – et non d’un assentiment de foi – et si de fait il n’a pas été reçu unanimement, c’est qu’il soulève tant de question nouvelles et ouvre tant de voies de recherches non abouties, qu’il n’a pu répondre en tout de façon claire et satisfaisante au regard de la Tradition. Autant dire que la question de la valeur magistérielle du Concile est aujourd’hui résolue et dépassée par celle de la réception, du tri ou de l’interprétation.
 
3) Un tournant de l’histoire
a donc marqué cette assemblée de Lourdes 2006, houleuse sans aucun doute et lieu de controverses non résolues, mais qui s’est achevée par une motion de confiance des évêques au Cardinal Ricard votée par une majorité absolue : « l’Assemblée exprime sa fraternelle confiance au président de la Conférence, le Cardinal JP Ricard. Elle redit au Saint-Siège la volonté des évêques de France d’œuvrer pour la réconciliation dans la vérité et la charité. »

Le 8 septembre, semble-t-il, les esprits n’étaient pas prêts à la « réconciliation » – réconciliation qui est un « fruit de l’Esprit » (cardinal Ricard, discours du 9 nov. 2006). Mais nos évêques se sont engagés devant leur Président à rattraper le temps perdu. De notre côté, nous aspirions à une bonne réconciliation, de toutes nos fibres et depuis des années et nous sommes tout à la joie de cet événement.

Or désormais, par cette confiance des évêques de France, le cardinal archevêque de Bordeaux avec qui nous œuvrons en concertation, est en mesure d’ouvrir une voie d’avenir, un chemin historique selon les désirs du Pape, non seulement pour l’Institut du Bon pasteur, mais en vue de préparer demain le plein accueil du rite romain traditionnel, et celui des prêtres et des fidèles qui ont défendu ce rite depuis quarante ans contre vents et marées. La richesse de ce rite, patrimoine sacramentel de l’Église et source de Salut pour l’humanité, pourrait alors de nouveau vivre et rayonner.
La liberté pour la Messe : vers une liturgie à la carte ?
Cependant, le cardinal s’inquiète dans son discours de clôture que cette liberté rendue à la Tradition devienne une affaire de « sensibilité » qui multiplierait les différences et favoriserait une liturgie « à la carte ».

Nous voudrions le rassurer. La multiplicité des célébrations post-conciliaires a certes créé des différences déstructurantes pour l’Église et pour les fidèles – le cardinal Ratzinger parlait de « désintégration » liturgique. Ces célébrations souvent si particularistes, sans forme fixe, imprévisibles et parfois inadmissibles, ne sont pas le fait des « traditionalistes ». Ceux-ci sont attachés à la Messe grégorienne, certes pour sa beauté sacrale, pour son gage d’unité de langue et de rite, pour son rayonnement spirituel, mais aussi pour des raisons motivées en doctrine. Le colloque universitaire du 2 décembre 2006, organisé à Paris par l’Institut du Bon Pasteur, atteste que la liturgie n’est pas pour nous une question de sensibilité, mais de sciences historiques, de théologie et surtout de fidélité. Benoît XVI, dans son catéchisme abrégé, rappelle en effet que la garantie de l’unité liturgique dans la pluralité, « c’est la fidélité à la tradition apostolique » (n° 1209).

Les discours de Lourdes seront-ils suivis d’effets ? En attendant ce Motu proprio qui bousculera sans doute quelques acquis en restituant une liberté injustement perdue, nous prions avec confiance. Dans la pratique, grâce au concours du Cardinal Ricard, pour la première fois en France sera bientôt érigée à Bordeaux une paroisse personnelle de rite propre, confiée à un Institut de Droit pontifical : par la grâce de Saint-Eloi, ce qui n’était encore hier qu’une intention de prière deviendra sous peu une réalité vivante et j’ose dire historique, pour la paix de l’Église Une, catholique et apostolique.

Abbé Christophe Héry

L'assentiment au concile, d'après le droit canonique

Un concile œcuménique peut requérir l’assentiment de foi, mais sous des conditions précises : il faut que soit déclarée l’obligation pour toute l’Église et pour tous les temps d’adhérer aux définitions du concile. Ce que Vatican II s’est expressément gardé de faire. Il échappe au domaine d’infaillibilité définitivement défini par le concile précédent, Vatican I, et rappelé nettement par le Code de 1983 :
Canon 749 § 2 a : Le Collège des Évêques jouit lui aussi de l’infaillibilité dans le Magistère lorsque les Évêques assemblés en concile œcuménique exercent le Magistère comme docteurs et juges de la foi et des mœurs, et déclarent pour l’Église toute entière qu’il faut tenir de manière définitive une doctrine qui concerne la foi ou les mœurs.
S’agissant de l’interprétation d’un concile, on doit de plus observer la règle stricte qui délimite le champ d’application de l’infaillibilité :
Canon 749 § 3 : Aucune doctrine n’est considérée comme infailliblement définie que si cela est manifestement établi.
On assiste depuis 40 ans, sur ce point de l’interprétation du Concile, à une extension illégitime du domaine d’infaillibilité de l’Église. Le cardinal RATZINGER, dans une conférence au Chili donnée au lendemain des sacres, le 13 juillet 1988, concédait à Mgr LEFEBVRE ce fait :
« On a l’impression que, depuis Vatican II, tout a changé et que tout ce qui a précédé n’a plus de valeur ou, dans le meilleurs des cas, n’a de valeur qu’à la lumière du Concile […] La vérité est que le Concile lui-même n’a défini aucun dogme et a tenu à se situer à un niveau plus modeste, simplement comme un concile pastoral.»
Vatican II ne peut donc exiger globalement l’assentiment de la foi des fidèles.