24 novembre 2006

Mettre fin à la querelle de la messe
lefigaro.fr - Jean Sevillia - le 24 novembre 2006
Mettre fin à la querelle de la messe La messe en latin ? Depuis que Benoît XVI souhaite élargir l'autorisation de célébrer la messe selon l'ancien rite, la question fait débat. A l'issue de la Conférence des évêques de France, qui s'est tenue début novembre à Lourdes, le cardinal Ricard, archevêque de Bordeaux, a été chargé par ses pairs de faire entendre leur voix au Vatican. Nul n'ignore, puisqu'ils l'ont fait savoir publiquement, que beaucoup d'évêques français sont hostiles au projet du pape. Un nouveau bras de fer, au sein de l'Eglise, entre ligne gallicane et ligne romaine ?
Les fidèles, en revanche, prennent la chose avec calme. «Faut-il laisser aux prêtres la liberté de célébrer la messe en latin ?» A cette question, 8 500 lecteurs internautes du Figaro ont répondu oui à 79%. Selon un sondage CSA réalisé le 8 novembre, 65% des catholiques français sont favorables au choix de la liturgie : ils jugent légitime que ceux qui préfèrent la messe à l'ancienne aient la possibilité d'y assister, 60% d'entre eux se déclarant prêts à y aller ponctuellement, contre 39% qui n'y assisteraient jamais. Manifestement, l'opinion est en phase avec la volonté de Benoît XVI de décrisper une histoire qui déchaîne les passions. Vatican II, clos en 1965, avait réformé la messe. D'après la constitution conciliaire sur la liturgie, le latin et le chant grégorien, cependant, restaient la norme officielle de l'Eglise, le vernaculaire (les langues locales) n'étant qu'une dérogation à cette règle. Le missel de Paul VI, devenu obligatoire en 1969, prévoit donc que la messe soit dite en latin ou en français. L'esprit des années 70 allait bousculer cette norme, passant le latin à la trappe et poussant à toutes sortes de fantaisies liturgiques auxquelles le pontificat de Jean-Paul II mettra un frein. Mais entre-temps, cette dérive aura suscité, par réaction, l'émergence du traditionalisme, terme recouvrant toutes sortes de sensibilités. Poussé à l'extrême, Mgr Lefebvre, fondateur de la Fraternité Saint-Pie X, s'enfermera dans une opposition de plus en plus virulente envers le Vatican, et finira excommunié, en 1988, après avoir sacré quatre évêques contre l'autorisation du pape, et ce après avoir renié un protocole d'accord qu'il venait de signer avec... le cardinal Ratzinger.
C'est donc sous l'égide du futur Benoît XVI, et avec la bénédiction de Jean-Paul II, que des traditionalistes, rompant avec Mgr Lefebvre pour rester fidèles à Rome, ont entrepris, depuis dix-huit ans, de faire revivre, au sein de l'Eglise, le rite d'avant 1969 : la messe dite de saint Pie V, célébrée en latin, le prêtre tourné vers l'autel («vers Dieu», disent-ils). Cette liturgie, selon eux, rehausse le caractère sacré du «sacrifice de la messe». Soutenu au Vatican par la commission Ecclesia Dei, bien accueilli par certains évêques, mal par beaucoup d'autres, ce courant est très minoritaire : en France, sur 2,5 millions de catholiques pratiquants, il compte 45 000 fidèles. Sa force, néanmoins, est sa jeunesse, que l'on remarque chaque année, à Chartres, lors du pèlerinage de la Pentecôte. Les prêtres de cette mouvance (Fraternité Saint-Pierre, Institut du Christ-Roi), n'ayant pas 40 ans, suscitent aussi de nombreuses vocations religieuses. Contrairement à une idée reçue, les traditionalistes, toutes tendances confondues, ont un âge nettement plus bas que la moyenne des paroissiens français : au total, selon les calculs de la revue La Nef, ils représentent 13% des pratiquants de moins de 55 ans.
Avec leurs 35 000 fidèles, les lefebvristes poursuivent leur logique qui, en dépit des efforts du pape, les éloigne inexorablement de Rome. Cinq prêtres exclus de la Fraternité Saint-Pie X ont fondé, au mois de septembre, l'Institut du Bon Pasteur, dont les statuts ont reçu l'aval du Vatican. Leur supérieur, l'abbé Laguérie, longtemps curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, est le prêtre en soutane vers qui les caméras et les micros des médias français se tournent toujours, dans l'espoir que ses intempérances verbales déclenchent une polémique. Un jeu qui ne fait rien pour apaiser la situation.
Le 22 décembre 2005, devant la curie, Benoît XVI a invité à relire le Concile selon un esprit de «continuité» et non de «rupture». Le pape ne veut ni revenir sur Vatican II ni imposer l'ancienne messe à tous : il pense simplement que renier un rite multiséculaire serait contradictoire avec le principe selon lequel tout développement, dans l'histoire de l'Eglise, a toujours été homogène. Dès 1977, le cardinal Ratzinger déclarait être «convaincu que la crise de l'Eglise repose largement sur la désintégration de la liturgie». Devenu pape, il se donne du temps, selon sa méthode habituelle, pour faire passer cette idée. Y compris à certains évêques de France.