27 janvier 2009





«Le pape Benoit XVI s'est fait avoir»
Frédéric Burnand - swissinfo.ch
La réintégration des évêques intégristes par le pape Benoit XVI et les propos ouvertement négationnistes de l'un de ses évêques sèment le trouble chez les croyants comme les non-croyants. Décryptage avec Albert Longchamp, Supérieur des Jésuites de Suisse. Tout comme les évêques allemands, les évêques suisses se sont distanciés de la décision du Vatican de réhabiliter Mgr Richard Williamson qui vient de nier dans une interview l'existence des chambres à gaz. Les évêques suisses ont condamné les «déraillements indéfendables de Mgr Williamson».
Albert Longchamp, Père provincial des jésuites de Suisse - le Supérieur des communautés des Pères jésuites en Suisse – analyse les retombées de la levée samedi de l'excommunication en 1988 de quatre évêques intégristes de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, fondée par Mgr Lefebvre, une mouvance basée à Ecône dans le canton du Valais.
swissinfo: La décision du pape a coïncidé avec les propos radicalement négationnistes proféré par l'un des 4 évêques. Une malheureuse coïncidence ou un acte délibéré?
Abert Longchamp : Ces propos n'ont sans doute pas été lancés fortuitement. Je me demande même si l'évêque n'a pas utilisé la main tendue par le pape pour exprimer au grand jour le fond de sa pensée, en sachant qu'ainsi elle aurait le maximum de résonnance.
swissinfo: Benoit XVI a-t-il donc été abusé?
A.L.: Comme on dit, le pape s'est fait avoir. Le porte-parole du Vatican, Federico Lombardi, s'est d'ailleurs clairement démarqué de ces propos. Cela dit, je ne suis pas sûr que Benoit XVI va réagir à ces propos négationnistes, étant donné que l'un de ses prédécesseurs, Pie XII, a eu une attitude critiquable envers les Juifs avant et durant la Deuxième Guerre mondiale. Les rapports entre l'Eglise catholique et les Juifs restent en effet très délicats.
Cela dit, les propos négationniste de l'évêque Richard Williamson et la démarche de Benoit XVI n'ont rien à faire ensemble.
swissinfo: La levée du décret d'excommunication des évêques lefebvristes signifie-t-elle la réintégration de ce mouvement intégriste au sein de l'Eglise romaine ou marque-t-elle le début d'un processus?
A.L.: Ce geste de Rome s'inscrit dans une politique de la main tendue. C'est une invitation à la réintégration d'une communauté, une réintégration qui avait échoué de peu en 1988 sous l'égide du cardinal Joseph Ratzinger, l'actuel pape. Mais ça n'est qu'un premier pas.
swissinfo: Pourtant, malgré ce geste, les intégristes campent fermement sur leurs positions.
A. L. : Nous ne voyons pas pour l'heure de signe d'ouverture de leur part. Mais la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X manifeste quant même sa volonté d'entrer dans un processus qui mette un terme au «scandale de la division », comme l'a déclaré le pape Benoît XVI. Mais sur le fond, les positions n'ont pas bougé. L'Eglise ne va pas changer une seule ligne du concile Vatican 2 et elle attend de la Fraternité qu'elle accepte tous les enseignements de l'Eglise.
Cela dit, le Vatican ne leur a pas demandé une déclaration formelle de soumission à tous les termes du Concile, en échange de la réintégration de leurs évêques.
Je pense que le Vatican veut donner du temps au temps et qu'il est conscient que d'autres pas seront nécessaires pour atteindre la pleine communion, la pleine unité de l'Eglise catholique.
swissinfo: Cette décision du pape ne risque-t-elle pas au contraire de diviser les catholiques?
A.L.: Ce geste n'est pas sans risque évidemment. Au sein même de la Fraternité Saint-Pie X, il n'est pas sûr que tous veuillent cette réintégration dans l'Eglise. La décision papale peut également inciter certains courants à se séparer de l'Eglise.
swissinfo : Cette réintégration participe-t-elle de la volonté du Vatican de s'affirmer face aux autres religions?
AL : Quand Benoit XVI était encore cardinal, il avait parlé de restauration de l'Eglise. Il faut en effet rappeler que beaucoup de fidèles quittent l'Eglise. Il s'agit donc de serrer les rangs en se démarquant des positions extrêmes à droite comme à gauche.
Dans le monde entier, se développe un fort intérêt pour les religions, couplé à une méfiance importante à l'égard des institutions. Il ne se passe pas un jour sans qu'un média n'aborde tel ou tel aspect des religions et de la spiritualité.
Le Vatican cherche donc à relégitimer l'Eglise catholique tout en préservant son unité et sans renier le concile Vatican II.
swissinfo: cette volonté de rapprochement avec Ecône s'inscrit-elle dans le recentrage à droite de l'Eglise catholique?
A.L.: Dans les pays occidentaux, il y a une tendance à un retour à la tradition, par rapport à l'innovation. La levée des excommunications entre bien dans un courant qui est assez fort au sein de l'Eglise catholique, en particulier chez les jeunes, qu'ils soient séminaristes ou prêtres.
Divers courants traversent l'Eglise catholique. Difficile de savoir où ce bouillonnement conduira les catholiques.

Interview swissinfo: Frédéric Burnand, Genève