18 avril 2012

[La Croix] Les lefebvristes acceptent la main tendue du pape

SOURCE - Isabelle de Gaulmyn, Frédéric Mounier, Céline Hoyeau - La Croix - 18 avril 2012

Mgr Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X a fait parvenir au pape une réponse concernant le Préambule doctrinal présenté en septembre 2011
Cette réponse, contrairement à la première envoyée en décembre, serait positive, et constituerait donc un pas décisif vers la fin d’une séparation de près de 24 ans - Un résultat à mettre au crédit de Benoît XVI qui, depuis le début de son pontificat, a multiplié les gestes en faveur de cette réconciliation
Qu’est-ce que la Fraternité a accepté ?
La Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X a finalement apporté une réponse au Préambule doctrinal présenté en septembre par Rome, qui conditionnait leur retour dans l’Église catholique. L’information a été confirmée mercredi 18 avril par le Saint-Siège. Pour l’instant cependant, rien n’est rendu public : ni la réponse de la Fraternité, ni même le Préambule doctrinal, à savoir le socle doctrinal jugé non négociable par le pape, et sur lequel les intégristes devaient s’accorder. Cependant, comme l’a affirmé mercredi le P. Federico Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, « cette réponse est différente des précédentes, qui avaient été considérées comme insuffisantes. C’est donc un pas en avant, encourageant. »
 
Toujours selon le P. Lombardi, « la réponse contient des demandes ou propositions de précisions sur le texte du Préambule doctrinal proposé à la signature ». Mais quelles sont ces « propositions de précisions » ?
 
C’est toute la question : selon nos informations, le Préambule doctrinal demandait aux intégristes de reconnaître l’autorité du magistère, des évêques, du Concile Vatican II et l’enseignement des papes successifs. Ce même préambule reconnaissait l’existence pour les intégristes de « points faisant difficulté », qui pouvait être discutés, mais de manière « non polémique ». Il faisait enfin référence au Code de droit canonique et demandait que soit reconnue la validité des célébrations liturgiques en rite actuel.
 
Dans sa première réponse, envoyée en décembre dernier, et très négative, la Fraternité demandait de pouvoir se conformer à la profession de foi du… Concile de Trente. Puis elle contestait certains points du Concile Vatican II, à savoir la liberté religieuse, l’œcuménisme, le dialogue interreligieux et la collégialité. Surtout, et c’est ce qui avait provoqué un fin de non-recevoir du Vatican, elle niait « l’autorité magistérielle du Concile lui-même », ne demandant pas autre chose que « de poursuivre le bon combat de la Foi qui est le nôtre ».
 
Il semble donc que ce dernier point ait disparu. Et que les responsables lefebvristes soient prêts désormais à accepter la « profession de foi » actuelle de l’Église, demandée aujourd’hui notamment aux luthériens ou aux anglicans qui deviennent catholiques.

Même si les choses semblent en bonne voie, rien n’est donc encore définitivement réglé. « Il s’agit d’une étape et non d’une conclusion », précisait mercredi la Fraternité. Dès mercredi prochain sans doute, les membres de la Congrégation de la doctrine de la foi, réunis à Rome devraient commencer à étudier le texte de la Fraternité Saint-Pie-X. Et la décision définitive est entre les mains du pape. « D’ici à quelques semaines, il devrait y avoir une réponse définitive », a encore expliqué le P. Lombardi.
Quel a été le rôle de Benoît XVI ?
Dès le début de son pontificat, le pape s’était assigné l’objectif de résorber tant que possible le schisme créé par la dissidence intégriste. Si les responsables de la Fraternité avaient opposé finalement une fin de non-recevoir, restant sur l’attitude fermée exprimée en décembre dans leur première réponse, Benoît XVI l’aurait vécu comme un échec personnel. Sans doute cela explique-t-il que son entourage ait exercé de très fortes pressions sur les membres de la Fraternité ces dernières semaines.
 
Alors que certains à Rome s’agaçaient de la volonté lefebvriste de « convertir Rome à la vraie foi » et exprimaient ouvertement leur pessimisme quant à la possibilité d’un accord, le pape a toujours voulu tenir la porte ouverte, optant pour une attitude « miséricordieuse ». Il a ainsi accepté progressivement toutes les conditions posées par la Fraternité à son retour : la liturgie pré-conciliaire, la levée de l’excommunication.
 
Sur les différends doctrinaux, le Préambule présenté en octobre était la dernière chance donnée aux membres de la Fraternité pour revenir dans l’Église catholique. Les « précisions » demandées par la Fraternité et acceptées par le pape, seront donc l’ultime concession.
 
Sur les motivations de cette miséricorde, Benoît XVI s’est expliqué très clairement dans la lettre de mars 2009, envoyée aux évêques. Il est de son devoir, écrit-il, d’œuvrer pour l’unité à l’intérieur de l’Église ; et d’autre part, il ne faut pas « laisser aller la dérive » une communauté qui risque de se radicaliser. Il a cependant toujours bien précisé les limites que la Fraternité ne pourrait franchir, notamment concernant le concile Vatican II.
 
Encore récemment, en mars dernier, s’adressant lui-même, par vidéo, aux évêques et laïcs de l’Église de France réuni à Lourdes pour fêter les cinquante ans du concile, Benoît XVI répétait que « Le Concile Vatican II a été et demeure un authentique signe de Dieu pour notre temps ».
Quelles sont les conséquences pour l’Église de France ?
Il va falloir aux évêques beaucoup de pédagogie pour que cette réponse, et le futur accord, s’il a lieu, « ne brouillent pas complètement les repères des catholiques français » selon l’expression d’un responsable de l’épiscopat. Qu’il tombe au moment même où l’on fête les cinquante ans du Concile, ne va pas faciliter les choses. Car il est tentant d’interpréter l’obstination de Benoît XVI pour obtenir le retour des intégristes comme un recul sur les acquis du Concile, ou tout au moins une interprétation restrictive.
 
De ce point de vue, le message envoyé par le même Benoît XVI à Lourdes devrait les rassurer. Tout comme l’extrême vigilance dont fait preuve Rome à propos du Bon-Pasteur, institut fondé en septembre 2006 par d’anciens membres de la Fraternité Saint-Pie-X ralliés à Rome, et à qui il a été demandé, dans une lettre envoyée le 23 mars dernier, de mieux « intégrer l’étude du Magistère actuel des papes et de Vatican II » dans la formation des futurs prêtres. En cas de création d’une prélature personnelle, les évêques français peuvent donc espérer que Rome fera preuve de la même vigilance à l’encontre de la Fraternité.
 
Pour autant, cette décision intervient dans un contexte où l’Église de France, comme dans toute l’Europe, est fragilisée. Sans oublier que depuis quelques mois, les catholiques français doivent subir la violence des membres de la Fraternité Saint-Pie-X, qui ne manquent pas une occasion de venir interrompre manifestations interreligieuses ou rassemblement visant à célébrer le concile. Pour ces derniers, la pilule risque d’être particulièrement amère.
Que va devenir la Fraternité Saint-Pie-X ?
Le Vatican devrait accorder à la Fraternité une structure juridique sous la forme d’une prélature personnelle (statut canonique hérité paradoxalement de Vatican II), déjà expérimentée par l’Opus Dei. Avant d’ériger cette prélature personnelle, le Saint-Siège doit, selon le canon 294 du Code de droit canonique , consulter au préalable « les conférences des évêques concernées ». Reste à savoir si les évêques seront consultés même là où la FSSPX est déjà implantée…
 
En interne, la réponse positive des responsables de la Fraternité à la main tendue du pape pourrait s’accompagner de divisions. « Je crains la séparation. Cela va faire mal », écrivait mercredi matin sur le forum Fecit un internaute, tandis qu’une autre, Alix, publiait : « Nous vivons des heures très difficiles ! La moitié des fidèles de mon prieuré sont contre des accords, il va donc y avoir, en plus d’une fracture, des dissensions. »
De fait, le district de France – avec en tête les abbés Régis de Cacqueray, son supérieur, et Xavier Beauvais, le curé de Saint-Nicolas du Chardonnet – s’est fortement engagé contre un accord avec Rome. Dimanche dernier en chaire, l’abbé Beauvais a d’ailleurs longuement prêché sur la foi, « aux heures où la foi catholique risque d’être marchandée à tout prix (sous prétexte de paix) »…
 
Ces tensions sont également palpables dans les plus hautes sphères de la Fraternité : avec non seulement l’incontrôlable Mgr Richard Williamson, mais plus encore, Mgr Bernard Tissier de Mallerais, figure historique de la FSSPX qui vient de publier un livre sur L’étrange théologie de Benoît XVI  (Éd. de Chiré). Si ces derniers décidaient de rejeter l’accord, ils seraient de nouveau excommuniés. « La levée des excommunications, accordée par le pape en janvier 2009, doit s’accompagner d’un acte de communion pour être valable », explique un canoniste. 

Isabelle de Gaulmyn, Frédéric Mounier, Céline Hoyeau