15 mars 2012

[FSSPX - Lettre à Nos Frères Prêtres] «Nul préjudice à la doctrine traditionnelle»

SOURCE - District de France de la FSSPX - Lettre à Nos Frères Prêtres n°53 - mise en ligne par La Porte Latine - mars 2012

A la suite de notre dossier sur la liberté religieuse, nous avons reçu plusieurs lettres critiques. Ici, nous voudrions nous arrêter sur quelques-unes de celles qui nous objectent qu’il est absurde, impossible et ridicule de prétendre, en quelque circonstance que ce soit, que la puissance publique doive professer la véritable religion ou combattre l’erreur. Voici donc trois courriers emblématiques.
Quelques moqueries et plaisanteries faciles
« Merci. Votre lettre me console et m’encourage. Dans ma paroisse, l’Erreur se promène partout et le pouvoir civil ne fait rien pour la contrarier. Le pouvoir religieux est complice. On m’a parlé de fléchettes lancées par des stylos qui provoquent des crises cardiaques, et qui sont indétectables. Savez- vous où je pourrais en trouver pour éliminer l’Erreur en éliminant les vecteurs qui la transportent ? Je les prendrais en gros. Vous me rendriez service et vous rendriez service à la Vérité » (abbé L.).

« Je pense en effet que l’Église de l’époque avait bien raison de condamner Jeanne d’Arc comme sorcière, apostate, relapse etc. Et de la remettre au bras séculier pour exécution. Et si on s’est trompé, on la canonisera un jour ! Les Soviétiques, qui ont pu prendre modèle sur nous, sont maintenant nos maîtres ! » (père G.).

« Dans le numéro de décembre sur la liberté religieuse, je lis page 5 que vous reconnaissez une “réelle et obligatoire compétence religieuse de l’État”. Donc de tout État. Le gouvernement français pourrait imposer la foi catholique. Où irait-on ? Avez-vous oublié les guerres de religions où chaque autorité voulait imposer sa foi ? D’où les massacres qui s’en sont suivi. De même, les États musulmans pourraient imposer leur loi religieuse, et donc la Charia. Je prends acte » (abbé J.-P.).
Un esprit anti-conciliaire ?
Les innocentes plaisanteries des deux premières lettres sont, certes, amusantes et font sourire. Les remarques de la troisième peuvent paraître évidentes et de bon sens. Et, pourtant, il faut le dire clairement : ces courriers ne sont pas conformes à la déclaration Dignitatis Humanæ. On pourrait presque dire qu’ils manifestent un réel esprit anti-conciliaire.

En effet, la déclaration Dignitatis Humanæ, en même temps qu’elle exprime sa doctrine propre, réclame de façon impérative une adhésion entière et sans réserve à la doctrine antérieure du Magistère, celle précisément que nous avons rappelée dans notre numéro précédent et que ces courriers estiment inadmissible et incongrue.

Pour nous qui contestons publiquement depuis un demi-siècle la continuité de la doctrine conciliaire sur la liberté religieuse avec le Magistère précédent, il est normal d’affirmer la dissonance entre la doctrine catholique traditionnelle et la doctrine conciliaire et postconciliaire sur le point de la liberté religieuse.

Mais pour ceux qui entendent adhérer à l’enseignement de Dignitatis Humanæ, ce n’est certainement pas permis ; et celui qui le fait s’oppose en réalité à la lettre même, la plus claire et la plus grave, de la Déclaration conciliaire.
L’affirmation explicite de Dignitatis Humanæ
Le Préambule de la déclaration de Vatican II, en effet, affirme explicitement et solennellement que sa doctrine sur la liberté religieuse « ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ » (DH, Préambule).

Ce Préambule a été préparé et rédigé avec grand soin en octobre 1965, en vue de préciser dans quel contexte la doctrine sur la liberté religieuse était proposée. Il a été présenté à l’assemblée conciliaire le 26 octobre par Mgr De Smedt, rapporteur du Schéma sur la liberté religieuse. Le but de ce passage en particulier, expliqua-t-il, est de manifester que Dignitatis Humanæ ne comporte aucune contradiction avec les documents antérieurs du Magistère (cf. Antoine Wenger, Vatican II - Chronique de la quatrième session, Centurion, 1966, pp. 110-114).

Le texte a été amendé, affirma-t-il, pour exprimer plus clairement les devoirs des pouvoirs publics envers la vraie religion, et c’est pourquoi il énonce plus clairement que la liberté religieuse laisse intacte la doctrine catholique traditionnelle (cf. Henri Fesquet, Le journal du Concile, Robert Morel éditeur, 1966, pp. 1073-1076).

On sait que c’est sur une intervention personnelle et motivée du pape Paul VI que fut rédigé ce préambule avec ses précisions. En effet, c’est lui qui avait demandé, le 21 septembre 1965, que les Pères votent sur une question qui commençait ainsi : « Plaît-il aux Pères que le texte réamendé sur la liberté religieuse soit adopté comme base de la déclaration définitive qui sera ultérieurement perfectionnée selon la doctrine catholique sur la vraie religion, etc. » (c’est nous qui soulignons).

Cette question reçut 88 % de votes positifs. Et c’est ainsi qu’une précédente rédaction parlant seulement d’une fidélité « à la doctrine de la vraie religion et de l’unique Église » fut amendée pour rappeler que la doctrine sur la liberté religieuse « laisse intacte la doctrine traditionnelle sur le devoir moral des hommes et des associations (societatum) envers la vraie religion et l’unique Église du Christ » (cf. René Laurentin, Bilan du Concile, Seuil, 1966, pp. 68-70 et 183).
Une doctrine toujours vraie et obligatoire, selon Vatican II
Donc, celui qui accepte et professe l’enseignement de Dignitatis Humanæ doit professer en même temps, de façon rigoureusement obligatoire, « la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ ». Il n’a nullement le droit, sous prétexte que cela le gêne, ou parce que cela lui semblerait désormais obsolète et inapplicable, de faire fi de cette doctrine traditionnelle qui fait partie intégrante, et de façon obligatoire, du contenu de la Déclaration conciliaire.

Celui qui adhère à Dignitatis Humanæ doit donc obligatoirement adhérer à ces paroles de Léon XIII : « Les sociétés politiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune manière, ou se passer de la religion comme étrangère et inutile, ou en admettre une indifféremment selon leur bon plaisir ». Ou à celles-ci : « Non, (…) l’État ne peut être athée ou, ce qui reviendrait à l’athéisme, être animé à l’égard de toutes les religions, comme on dit, des mêmes dispositions, et leur accorder indistinctement les mêmes droits. Puisqu’il est donc nécessaire de professer une religion dans la société, il faut professer celle qui est la seule vraie ».

Celui qui adhère à Dignitatis Humanæ doit obligatoirement adhérer à ces paroles de Pie XI : « Les États (…) apprendront par la célébration annuelle de la fête [du Christ-Roi] que les gouvernants et les magistrats ont l’obligation, aussi bien que les particuliers, de rendre au Christ un culte public et d’obéir à ses lois. (…) Car la dignité royale [du Christ] exige que l’État tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens dans l’établissement des lois, dans l’administration de la justice, dans la formation intellectuelle et morale de la jeunesse ». Celui qui adhère à Dignitatis Humanæ doit obligatoirement adhérer à ces paroles de Pie XII du 7 septembre 1955, que nous n’avions pas encore citées : « L’Église et l’État sont des pouvoirs indépendants, mais qui ne doivent pas pour cela s’ignorer, encore moins se combattre ; il est beaucoup plus conforme à la nature et à la volonté divine qu’ils collaborent dans la compréhension mutuelle, puisque leur action s’applique au même sujet, c’est-à-dire au citoyen catholique. (…) L’historien ne doit pas oublier que, si l’Église et l’État connurent des heures et des années de lutte, il y eut, de Constantin le Grand jusqu’à l’époque contemporaine et même récente, des périodes tranquilles, souvent prolongées, pendant lesquelles ils collaborèrent dans une pleine compréhension à l’éducation des mêmes personnes. L’Église ne dissimule pas qu’elle considère en principe cette collaboration comme normale, et qu’elle regarde comme un idéal l’unité du peuple dans la vraie religion et l’unanimité d’action entre elle et l’État ».