14 juin 2012

[Michel Simoulin, fsspx - Seignadou] Ultimes réflexions

Michel Simoulin, fsspx - Seignadou - juillet-aout 2012

Pour connaître un être humain, il faut connaitre son « pourquoi », son but, sa raison d’être et de vivre, ce pour quoi il vit et se bat, avant de savoir ce qu’il refuse et combat. Pour connaître Mgr Lefebvre il faut connaître la raison de son combat plus que son combat lui-même. Or, toute la vie de Monseigneur a été consacrée au sacerdoce et au Saint-Sacrifice de la Messe, il a combattu pour la Messe et il a condamné et rejeté tout ce qui pouvait porter atteinte à la sainteté du sacrifice, que ce soit en théologie, doctrine, liturgie, pastorale…Nous connaissons tous ses interventions courageuses et nécessaires pour dénoncer les maux terribles qui affligent l’Église depuis Vatican II, jusqu’au scandale d’Assise. Mais nous connaissons moins peut-être le fondateur de la « Fraternité des Apôtres de Jésus et Marie ou (selon le titre public) de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X ». C’est cet Évêque, auquel je dois le meilleur de ce que je suis, dont je voudrais rappeler aujourd’hui la belle figure.

« Si l’Esprit-Saint permet que je rédige les quelques considérations spirituelles qui suivent, avant d’entrer, s’il plaît à Dieu, dans le sein de la Bienheureuse Trinité, il m’aura permis de réaliser le rêve qu’Il m’a fait entrevoir un jour dans la cathédrale de Dakar: devant la dégradation progressive de l’idéal sacerdotal, transmettre, dans toute sa pureté doctrinale, dans toute sa charité missionnaire, le sacerdoce catholique de Notre Seigneur Jésus-Christ, tel qu’II l’a transmis à ses apôtres et tel que l’Eglise romaine l’a transmis jusqu’au milieu du XXème siècle.

Comment réaliser ce qui m’apparaissait alors comme la seule solution de renouveau de l’Eglise et de la Chrétienté ? C’était encore un rêve, mais dans lequel m’apparaissait déjà la nécessité, non seulement de transmettre le sacerdoce authentique, non seulement la "sana doctrina" approuvée par l’Eglise, mais l’esprit profond et immuable du sacerdoce catholique et de l’esprit chrétien lié essentiellement à la grande prière de Notre Seigneur qu’exprime éternellement son sacrifice de la Croix.

La vérité sacerdotale est en dépendance totale de cette prière; c’est pourquoi j’ai toujours été hanté par ce désir de désigner les voies de la vraie sanctification du prêtre selon les principes fondamentaux de la doctrine catholique de la sanctification chrétienne et sacerdotale. » (8 décembre 1989. Préface de l’Itinéraire spirituel.)

S’il est une constante dans la vie de Mgr Lefebvre, c’est bien cela : le sacerdoce et la Messe, dont il avait une idée trop élevée pour en accepter quelque diminution que ce soit. Déjà en Afrique, il écrivait à ses prêtres : « Vous êtes prêtres d’un sacerdoce de prière, de louange, d’adoration en premier lieu. Vous êtes prêtres en second lieu d’un sacerdoce sanctificateur de vos âmes et de celles de votre prochain, et particulièrement de ceux vers lesquels vous êtes envoyés. Vous êtes en conséquence prêtres d’un sacerdoce d’immolation, de sacrifice de vous-mêmes. » (L’esprit sacerdotal. Lettre pastorale du 26 octobre 1958.)

Il faudrait relire encore les lettres qu’il écrivait aux premiers membres et amis de la Fraternité dès le 19 août 1970. Mais surtout, les statuts de la Fraternité reconnue le 1° Novembre 1970, définissent clairement ce qu’elle est et doit être, sa mission propre : « Le but de la Fraternité est le sacerdoce et tout ce qui s'y rapporte et rien que ce qui le concerne, c'est-à-dire tel que Notre Seigneur Jésus-Christ l'a voulu lorsqu'il a dit: «Faites ceci en mémoire de Moi ».

Dans une note du 19 Mars 1976 il redira encore: « Je puis affirmer devant Dieu et devant l’Église que le seul but de la Fraternité Sacerdotale est de servir Notre-Seigneur Jésus-Christ et son Église en procurant à celle-ci des prêtres formés selon la plus saine tradition et le plus authentique magistère de l’Église, en pleine conformité avec le droit canon et selon les souhaits exprimés par Vatican II. … Ce but est inscrit explicitement dans le Décret d’érection signé par son Excellence Monseigneur Charrière, dans les statuts et dans les règlements du séminaire. »

Et nous ne devons pas oublier que dans les premières années du conflit Rome-Ecône, Paul VI n’exigeait rien d’autre de lui que l’acceptation de « son » rite : « Dites la nouvelle messe une seule fois, et tout s’arrangera. » C’est ce refus initial de Mgr Lefebvre qui est à l’origine de tout le reste. C’est sur la question de la Messe que tout va se cristalliser de part et d’autre.

Le texte peut-être le plus émouvant sur la motivation essentielle de Monseigneur est certainement le sermon de son jubilé le 23 septembre 1979 : « Il y a eu un poème qui a été fait à ce sujet là et où l’on prête des paroles à Satan qui manifestent que Satan tremble chaque fois qu’une messe, une véritable messe catholique est célébrée, car cela lui rappelle la Croix et il sait bien que c’est par la Croix qu’il a été vaincu, et les ennemis de l’Eglise, ceux qui font des messes sacrilèges dans les sectes, et les communistes eux-mêmes savent bien ce que vaut une messe catholique!

Nous devons faire une croisade, appuyée sur le Saint Sacrifice de la messe, sur le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, appuyée sur ce roc invincible et sur cette source inépuisable de grâces qu’est le Saint Sacrifice de la messe…Il nous faut faire une croisade, une croisade appuyée précisément sur cette notion de sacrifice, afin de recréer la chrétienté, refaire une chrétienté telle que l’Eglise la désire, l’a toujours faite avec les mêmes principes, le même sacrifice de la messe, les mêmes sacrements, le même catéchisme, la même Écriture Sainte… Nous devons recréer cette chrétienté, c’est vous, mes bien chers frères, vous qui êtes le sel de la terre, vous qui êtes la lumière du monde, vous auxquels Notre-Seigneur Jésus-Christ s’adresse en vous disant: « Ne perdez pas le fruit de mon Sang, n’abandonnez pas mon Calvaire, n’abandonnez pas mon Sacrifice »…

Pour la gloire de la Très sainte Trinité…gardez ce testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ! Gardez le Sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ! Gardez la messe de toujours!
» Tout est à relire dans ce sermon.

Dans le bulletin interne à la Fraternité « Cor Unum », Monseigneur rédige une série d’articles en 1981-1982 sur « l’esprit de la Fraternité sacerdotale saint Pie X » : le sacrifice, la liturgie, la contemplation, humilité, obéissance…

La lettre écrite aux quatre évêques consacrés le 30 juin 1988 revient sur les mêmes principes : « La corruption de la sainte Messe a amené la corruption du sacerdoce et la décadence universelle de la foi dans la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Dieu a suscité la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X pour le maintien et la perpétuité de son sacrifice glorieux et expiatoire dans l'Église. Il s'est choisi de vrais prêtres instruits et convaincus de ses mystères divins. Dieu m'a fait la grâce de préparer ces lévites et de leur conférer la grâce sacerdotale pour la persévérance du vrai sacrifice, selon la définition du Concile de Trente.»

Le 19 novembre 1989, pour les 60 ans de sacerdoce au Bourget « Qu’est-ce que serait une Église sans prêtres ? », et le 8 décembre, dans la préface de son « Itinéraire spirituel », Monseigneur fait cette émouvante confidence que nous avons déjà rapportée.

Une année avant sa mort, Monseigneur réaffirme encore cette même intention :

« 1965-1990, C'est la période de l'effondrement du sacerdoce catholique. 1970-1990 : La Providence dans sa Sagesse infinie suscite une œuvre de restauration du sacerdoce catholique, afin de préserver les trésors que Jésus-Christ a confiés à Son Eglise, la foi dans son intégrité, la grâce divine par Son Sacrifice et Ses sacrements, et les pasteurs destinés à la dispensation de ces trésors de vie divine…œuvre à laquelle Dieu va confier l’Arche d’Alliance du Nouveau Testament ». (20 mars 1990. Préface de l’édition de nos statuts.)

Tous ces textes et tant d’autres expriment la parfaite continuité de pensée et la fidélité de Mgr à son inspiration première en précisant encore la nature et la mission propre de la Fraternité. Ils nous disent bien mieux que tout discours de circonstance ce qu’étaient la vraie pensée et le vrai combat de Mgr Lefebvre, combat d’abord surnaturel pour le sacerdoce et la messe, et non pas combat « politique » contre la subversion ou la révolution. Cette dimension politique, « anti-libérale ou anti-moderniste », évidemment nécessaire et que n’a pas refusée Mgr Lefebvre, ne peut et ne doit être que le revers de notre amour de l’Église, pour lutter contre les poisons qui pourraient neutraliser les grâces dont elle vit par le Saint-Sacrifice de la Messe. Mais il ne faut pas renverser les priorités, et c’est l’amour de la vérité qui doit inspirer la haine de l’erreur, non l’inverse. La vraie façon d’aimer l’Église, la plus « efficace » certainement, est de lui rendre le sacrifice de la Nouvelle Alliance. Nous avons affaire à un adversaire plus puissant que nous, mais ses armes sont naturelles, ou préternaturelles. Et nous avons conservé les seules armes capables d’en triompher : les armes surnaturelles, dont la source est la Sainte Messe. Ces armes que nous avons reçues ne sont pas les nôtres, pour notre seul usage personnel : elles appartiennent à l’Église et doivent être mises, ou remises à son service, autant que la Providence nous le permettra. L’esprit de la « Messe de toujours » est tellement incompatible avec l’esprit conciliaire que s’il y a confrontation, c’est la Messe qui triomphera.

Malgré les crimes et les injustices dont a été victime l’Église, malgré les crimes et les injustices dont il a été lui-même victime, Mgr croyait à l’Église et nous conjurait de l’aimer et de la servir. Nul doute que du haut du ciel, il continue plus que jamais à veiller jalousement sur cette œuvre de restauration du sacerdoce catholique que la Providence a suscitée par son entremise il y a 42 ans.

En 1988, le temps n’était pas venu, c’est vrai, mais ne peut-il se faire que ce temps vienne en 2012, ou plus tard ? Devrons-nous toujours refuser de ramener « l’Arche d’Alliance du Nouveau Testament » dans son Temple, parce que ceux qui servent dans le Temple ne sont pas tous fidèles ni exemplaires ? Depuis 1969, elle attend dans la maison d’Abinadab (1 livre des Rois, VII, 1)… quand viendra le temps de la porter à Jérusalem, dans le Saint des Saints ?

Que la Vierge Immaculée nous aide à demeurer fidèles à l’Église par notre fidélité à l’esprit de l’Évêque que Jésus-Christ nous avait donné pour nous apprendre à aimer l’Église comme nous aimons Jésus-Christ.
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Note. Dans son sermon du 23 septembre 1979, Mgr Lefebvre fait allusion à un poème, écrit par Jacques Debout (de son vrai nom le chanoine René Roblot) « Les Trois contre l’Autel ». Il exprime par la bouche de Satan qui parle contre Notre-Seigneur, ce qu’est le prix d’une Messe :
Le démon des richesses : Que nous oppose-t-il ?
Satan : L’éternel Sacrifice qui m’a broyé la tête et malgré mes efforts
m’arrache tous les jours des vivants et des morts.

Dans le destin caché, mais vrai des nations
les Messes sont autant de Révolutions,
celles qu’on ne voit pas et qui, seules profondes,
savent bouleverser l’intérieur des mondes.

La Messe, débordant le Prêtre et le Missel,
est un événement toujours universel.
Et quand, à quelque obstacle, impuissant, je me butte,
C’est que dans une église, une grange, une hutte,
Un homme infirme et pauvre a tenu dans sa main
La formidable Hostie et le terrible Vin.
(Cité dans : Un évêque parle. T. I. p. 140)