13 août 2012

[Paix Liturgique] La forme extraordinaire vue par le cardinal Barbarin

SOURCE - Paix Liturgique, lettre n°348 - 13 août 2012

Cardinal-archevêque de Lyon, Mgr Barbarin est plutôt discret en ce qui concerne la question de la forme extraordinaire du rite romain. L’expérience de la Maison Sainte Blandine, qu’il abrite dans son diocèse, certes se poursuit… mais a du mal encore à vraiment décoller, et la satisfaction de la demande de messes Summorum Pontificum tarde à se manifester. L’archevêque de Lyon a un profil à part dans l’épiscopat français. Ses prises de position toujours très personnelles, sont parfois assez surprenantes. Mais sa liberté de pensée en tous sens ne fait aucun doute. Au cours d’une récente « Rencontre de Moulins », du 9 au 11 juillet 2012, au but très connoté (« entrer résolument dans une appropriation constructive du concile ») et au déroulement peu nerveux, son intervention sur la liberté du théologien a tranché par sa pertinence. Il est d’ailleurs écouté par le nonce apostolique lorsque celui-ci recherche des candidats « modérés » (Mgr Brac de la Perrière à Nevers, Mgr Habert à Sées, Mgr Roland à Bellay-Ars).

Fin 2010, le Primat des Gaules a publié une préface donnant quelques clés pour comprendre le regard qu’il porte sur la nouvelle situation liturgique permise par le Motu Proprio de Benoît XVI et, en particulier, sur l’enrichissement des deux formes du rite romain. Un texte toutefois demeuré sans grand écho en France car publié par le diocèse de Natitingou au Bénin... Nous vous en proposons les meilleurs morceaux suivis de nos réflexions.

I – EXTRAITS DE LA PRÉFACE DU CARDINAL BARBARIN à l
a brochure La forme extraordinaire du rite romain, sous-titrée L’expérience de Natitingou en Afrique, à l’initiative de Mgr Pascal N’Koué et de l’abbé Denis Le Pivain, curé de la paroisse personnelle dont il va être question

« Si, depuis 150 ans, ce sont des missionnaires européens qui ont apporté l’Évangile au Bénin, c’est maintenant le Bénin qui nous envoie des prêtres et nous offre des expériences pastorales réussies.

« Nous avions déjà eu connaissance de belles réalisations dans la catéchèse des adultes et de l’ensemble de la communauté chrétienne, dans la recherche théologique spécifiquement africaine, dans l’apostolat auprès des non-chrétiens et dans le soin apporté aux vocations naissantes par des groupes de fidèles guidés par leur curé. Ici, nous est rapportée l’expérience d’une paroisse conjuguant la célébration de l’Eucharistie selon l’usage actuel – dit de Paul VI – et selon la forme dite “extraordinaire” du rite romain. L’origine en a été l’arrivée à Natitingou d’un prêtre et d’une communauté de religieuses pratiquant, sans exclusive, la forme ancienne.

« Prêtres et fidèles ont cherché à bien la mettre en œuvre, tout en l’adaptant à la situation résultant de la réforme qui a suivi le concile Vatican II, et en pratiquant aussi la forme liturgique actuelle à laquelle les fidèles sont habitués. C’est la première fois qu’un ouvrage présente et décrit un exemple de cet “ enrichissement mutuel ” des deux formes de célébration, souhaité depuis longtemps par le pape Benoît XVI. Et il est heureux que cela nous vienne d’une “ jeune Église ”.
 (…)

« La célébration de l’ordinaire de la Messe sous les deux formes a permis aux fidèles, voire à des prêtres n’ayant connu que la forme nouvelle, d’être introduits dans une célébration riche en signes et en attitudes qui manifestent le mystère présent dans l’offrande du Christ à son Père pour le salut du monde. Ils perçoivent avec acuité que la liturgie, son langage et son déroulement, ne sont pas seulement intellectuels et ils goûtent intensément des moments tels que la Consécration et la Sainte Communion reçue à genoux.

« Dans les gestes et usages de la liturgie traditionnelle, les Africains ont reconnu un symbolisme et des attitudes corporelles présents dans leur culture : célébration qui oriente résolument le prêtre et les fidèles “ vers Dieu ”, génuflexions et inclinations profondes, amour du silence, paroles essentielles prononcées en un “ langage sacré ”, venu du fond de la Tradition...
  (…)
« Comme une certaine unité fondamentale de célébration est signe de l’unité ecclésiale, il est à espérer que, peu à peu, “ l’enrichissement mutuel ” des deux formes du rite romain fasse se rejoindre les deux façons de célébrer – en commençant par l’utilisation d’un même calendrier et des mêmes lectures bibliques –, sans imposer une uniformité de style. Ce sera un signe marquant de l’unité ecclésiale à laquelle sont conviés tous les disciples du Christ et que j’ai adoptée comme devise épiscopale : “ Qu’ils soient un ! ” (Jean 17, 21). » 
 
Cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon

II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1)  Un mot sur le diocèse de Natitingou et son évêque, Mgr Pascal N’Koué, à l’initiative, avec l’abbé Le Pivain, ancien membre de la FSSP, de cette brochure sur l’application locale du Motu Proprio Summorum Pontificum.

Le diocèse a été érigé en 1964, il couvre une vaste région au nord-ouest du Bénin et comporte aujourd’hui 29 paroisses et 48 prêtres pour 700 000 habitants en très grande majorité animistes. En 1997 le diocèse a vu arriver à sa tête un jeune prêtre de 38 ans, sacré par le cardinal Gantin, Mgr Pascal N’Koué. Mgr N’Koué s’est vite affirmé comme un pasteur dynamique, entreprenant... et traditionnel. Il a notamment appelé la Fraternité Saint-Pierre dans le diocèse en 2003, ce qui a permis en 2006 la création – antérieure au Motu Proprio Summorum Pontificum ! – de la paroisse personnelle Saint Jean-Baptiste, dédiée à la liturgie traditionnelle et à l’origine de la brochure préfacée par le cardinal de Lyon.

Dans le cadre du jumelage entre son diocèse et celui d’Aix-en-Provence et Arles, il a accueilli en 2005 une fondation des moniales bénédictines de Jouques, Notre-Dame de l’Écoute. Dans son homélie pour la solennité du Sacré-Cœur de Jésus en 2011, présentée sur le site diocésain comme ses « dernières recommandations aux prêtres », il a eu des paroles aussi belles qu’éclairantes sur sa vision pastorale, spirituelle et liturgique : « Le Monastère Notre-Dame de l’Écoute est devenu un oasis pour qui veut se retirer dans un lieu désert et rencontrer Dieu dans la prière silencieuse, le travail manuel et le chant grégorien, dont les mélodies ont été composées à genoux. Il y a de la beauté, de la hauteur, de la verticalité dans ces chants sacrés totalement centrés sur Dieu. Et cela aide le cœur à croire en la présence de Celui qui est là invisible ; invisible mais réellement présent. Le chant grégorien renvoie qui que ce soit à la transcendance divine. Il est fait pour le culte, uniquement pour le culte. Même exécuté en dehors de l’assemblée, il garde sa majesté mystérieuse et nous « force » au recueillement, au calme intérieur et à la contemplation. Ah, si nos compositeurs pouvaient s’inspirer de ce chant ! En outre, dans ce monastère se célèbrent les deux formes du rite romain, sans heurt, sans bousculade, sans coups de poing. Ici, Paul VI fait bon ménage avec St Pie V. Le français et le latin sont acceptés. Gardez cette vocation liturgique. Faites-en une tradition, l’Église en a besoin. »

Que dire ? Sinon que sous la férule de Mgr N’Koué, la proportion de catholiques dans le diocèse n’a cessé d’augmenter ! Et que, en juin 2011, à la veille de son voyage au Bénin, Benoît XVI a promu Mgr N’Koué archevêque de Parakou...

2)  Le texte du cardinal Barbarin, qui apporte toute son autorité à cette brochure contenant des interventions très fortes de Mgr N’Koué à propos des bienfaits de cette expérience, appelle plusieurs commentaires :

a – « C’est la première fois qu’un livre présente et décrit un exemple de cet enrichissement mutuel des deux formes de célébration, souhaité depuis longtemps par le pape Benoît XVI. Et il est heureux que cela nous vienne d’une jeune Église. », écrit le cardinal. C’est heureux et même très significatif que les bienfaits de la " nouvelle messe de Benoît XVI ", comme l'appellent les plus jeunes, soient précisément illustrés par une « jeune Église ».

b – « Ils perçoivent avec acuité que la liturgie, son langage et son déroulement, ne sont pas seulement intellectuels et ils goûtent intensément des moments tels que la Consécration et la Sainte Communion reçue à genoux. » Bref, Mgr Barbarin nous dit que les fidèles de Natitingou participent activement à la messe selon la forme extraordinaire et l’apprécient. Voici un jugement qui ne surprendra aucun pratiquant de la forme extraordinaire mais risque d’irriter quelques tenants de la réforme Bugnini comme apothéose de l’actuosa participatio.

c – « Dans les gestes et usages de la liturgie traditionnelle, les Africains ont reconnu un symbolisme et des attitudes corporelles présents dans leur culture » affirme le cardinal, citant spécifiquement l’orientation versus Deum, les gestes d’adoration (« génuflexions et inclinations profondes »), le silence et l’usage d’une langue sacrée. Bref, à quoi bon l’inculturation tant recherchée depuis la réforme liturgique si celle-ci était en fait naturellement présente dans la forme extraordinaire ? Car, d’un bout du globe à l’autre les attitudes d’adoration et de prière des hommes sont en fait facilement assimilables à celles exprimées dans la messe qui pour l’essentiel était fixée à l’époque de saint Grégoire-le-Grand (fin VIe siècle).

3)  Certes, on peut regretter pour la forme que l’abbé Denis Le Pivain introduise, à l’occasion de cette brochure, quelques idées personnelles qualifiées selon l’expression consacrée – nous rapportons ici ce terme sans polémique – de « bricolage », et qui ont été depuis écartés par la Commission "Ecclesia Dei" : « J’ai cru bon de prendre les livres liturgiques de 1962 en usant des modifications apportées en 1965 à la suite du Concile. L’usage du vernaculaire y est plus étendu dans la liturgie de la parole, surtout en semaine. En outre, importer l’ancien calendrier et l’ancien lectionnaire était chose difficile dans une région dont l’évangélisation remonte à 1941 ! » Mais ceci, au reste limité, n’est pas d’une importance fondamentale, d’autant que ces emprunts au rituel de 1965 ne sont pas ici présentés, comme on le fait parfois à tort, comme un aspect d’« enrichissement réciproque ». La liturgie de 1965 à 1967 (date des premières grandes mutations conciliaires ad experimentum) reste une liturgie traditionnelle, moins « riche »…

4)  Vérité à Natitingou, timidité entre Saône et Rhône ? Bien sûr, Mgr Barbarin peut invoquer l’existence de Notre-Dame Secours des malades, à Bron, de la Maison Padre Pio à Francheville, de l’église Saint-Georges à Lyon, des églises paroissiales de Saint-Jean-de-la-Bussière et de Thizy, du Cœur-Immaculé-de-Marie à Villeurbanne, mais qui relèvent plutôt du Motu Proprio de 1988, sans parler des implantations de la FSSPX et communautés amies. C’est en tout cas la réflexion qui nous vient à l’esprit. Comme nous l’avons expliqué dans notre lettre 309 consacrée aux résultats de notre sondage sur la réception du Motu Proprio dans le diocèse de Lyon, il existe encore dans la capitale religieuse des Gaules un clergé fortement idéologisé, pétri de progressisme désuet et d’intransigeance militante. Cela suffit-il à expliquer la discrétion du cardinal Barbarin sur la question liturgique ?