8 mars 2013

[Abbé François Laisney, fsspx] L’illusion pseudo-anti-libérale

Abbé François Laisney, fsspx - sspxasia.com - 8 mars 2013

Depuis quelques temps, certains se permettent d’accumuler (de façon compulsive) les condamnations les plus graves contre les supérieurs de la Fraternité St Pie X, sans se rendre compte qu’ils ont perdu contact avec la réalité ; ils sont tombés dans des illusions que j’appellerai « pseudo-anti-libérales » car ils prétendent être anti-libéraux, alors qu’ils tombent eux-mêmes dans le défaut même qu’ils condamnent, comme le dit St Paul : « En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même, puisque tu fais les choses mêmes que tu juges » (Rom 2:1 ).
RÉGULARISATION CANONIQUE - BON EN SOI
Après avoir posé la définition d’un libéral – personne qui rejette l’autorité de Dieu et de sa Loi – pour conclure que les autorités de la Fraternité seraient libérales, il leur faudrait logiquement avoir prouvé que ces autorités rejettent Dieu et sa Loi. Or non seulement ils n’ont d’aucune manière prouvé que Mgr Fellay et les autorités de la Fraternité rejettent Dieu et sa Loi, mais au contraire c’est pour obéir à la Loi de Dieu que – suivant l’exemple de Mgr Lefebvre, qui a toujours rejeté le sédévacantisme – les autorités de la Fraternité sont attachées à l’Eglise Catholique, telle qu’elle est concrètement aujourd’hui, malheureusement défigurée par le modernisme et le libéralisme comme le Christ fut défiguré sur la Croix, mais restant quand même l’Eglise Catholique que le Christ a fondé sur Pierre et contre laquelle les portes de l’Enfer ne prévaudront point. St Thomas explique que toute loi est essentiellement un ordre, ordo rationis ; cette soumission à la Loi de Dieu entraîne donc nécessairement l’amour de l’ordre, et donc le désir d’être dans l’ordre dans l’Eglise de Dieu ; une régularisation canonique n’a pas d’autre but. Il n’y a donc rien de libéral en cela, au contraire !
DISTINGUER: SOUMISSION AU SUCCESSEUR DE PIERRE
D’où vient le problème alors ? Il vient du fait que beaucoup de ceux qui possèdent une autorité dans l’Eglise aujourd’hui sont infectés de libéralisme, à divers degrés. Cela, ni Mgr Fellay, ni aucun prêtre de la Fraternité ne le nie. Mais alors que Mgr Fellay et les prêtres fidèles de la Fraternité font, à l’exemple de Mgr Lefebvre, la distinction entre être soumis au successeur de Pierre en tant que successeur de Pierre et non pas en tant que libéral, tout en résistant à son libéralisme, ceux qui s’opposent à Mgr Fellay semblent viscéralement incapables de faire une telle distinction et persévèrent dans leur ignorance de l’enseignement de St Augustin contre les Donatistes: dans l’Eglise Catholique la communion avec les méchants ne nuit pas aux bons s’ils ne consentent pas à leur méchanceté. Le mot « méchant » traduit le Latin, mali. Mettez le mot libéraux au lieu de méchants, car le libéralisme est un mal, et le principe de St Augustin est exactement la position de Mgr Fellay et la réfutation de ceux qui s’opposent à lui : dans l’Eglise Catholique, la communion avec des libéraux ne nuit pas aux bons s’ils ne consentent pas à leur libéralisme.

Pour bien comprendre le principe de St Augustin, il faut se souvenir de la grande vérité que rappelait le Père Calmel : la tête de l’Eglise, c’est le Christ, dont le Pape n’est que le vicaire. C’est parce que la communion avec les membres de l’Eglise est avant tout communion avec le Christ qu’elle ne nuit pas aux bons tant qu’ils ne consentent pas au mal. Et c’est parce qu’ils oublient le Christ à la tête de l’Eglise que certains ont tant peur de cette communion, ne regardant que le côté humain de l’Eglise et oubliant le Sacré Cœur qui est en contrôle de tout dans son Eglise. Le zèle si amer qu’ils manifestent – si opposé à l’esprit de Mgr Lefebvre – manifeste cet oubli du Sacré Cœur. Prions pour eux.
DES DEGRÉS DE LIBÉRALISME
Mgr Lefebvre faisait souvent remarquer qu’il y a bien des degrés de libéralisme. Certains rejettent par principe et systématiquement toute loi et toute obligation ; de tels libéraux n’ont évidemment plus la vraie Foi. D’autres, tout en reconnaissant Dieu et sa Loi, et toutes les vérités de la Foi catholique, ne les appliquent pas suffisamment aux situations concrètes, ou n’ont pas le courage d’en tirer toutes les conséquences pour la société moderne ; et parmi ces derniers libéraux, il y a aussi bien des degrés. Ceux-là ont encore la Foi, bien qu’ils méritent ce reproche de Notre Seigneur aux Apôtres (cf. Mt 8:26, 17:16, etc.) : « O hommes de peu de foi ! » Il ne faut donc pas condamner indifféremment tous ceux qui sont infectés de libéralisme, comme si tous étaient coupables du crime le plus horrible possible, à savoir d’être en guerre contre Dieu. Et il ne faut pas interpréter en mal systématiquement tout ce que peut faire un libéral ; au XIXème siècle, les grands Catholiques antilibéraux tels que le Pape Pie IX ou le Cardinal Pie n’ont pas hésité à louer le bien qu’ont pu faire des libéraux tels que Mgr Dupanloup ou le comte de Montalembert, tout en dénonçant avec force leur libéralisme.
L'EGLISE VISIBLE
De plus, on trouve des illogismes surprenant dans ces accusateurs de Mgr Fellay. Je cite : « Ces chefs de la FSSPX disent que nous devons nous réunir avec l’Église visible parce qu’elle est l’Église catholique. Pourtant l’« église » Anglicane est bien visible sur tout le territoire anglais, mais est-elle catholique pour autant ? » L’argument ne tiendrait que si ces chefs de la FSSPX avaient dit : « parce qu’elle est visible, elle est Catholique », ou « toute église visible est catholique. » Mais ils n’ont bien évidemment rien dit de tel ; et donc la soi-disant réfutation n’est qu’un sophisme.

La vérité, sur laquelle insiste Mgr Fellay et les autorités de la FSSPX, est que l’Eglise Catholique est visible, non seulement hier mais aujourd’hui aussi. C’est cette Eglise Catholique, visible, concrète, romaine, que reconnaissait hier Mgr Lefebvre et que reconnaissent aujourd’hui Mgr Fellay et la FSSPX, de laquelle nous avons toujours été un membre vivant, mais maltraité par d’autres membres, dans laquelle notre devoir nous oblige à être « dans l’ordre ». Il n’y a rien de libéral à tout cela.

Si ceux qui s’opposent à Mgr Fellay aujourd’hui rejettent cette Eglise Catholique, visible, concrète, romaine, quelle Eglise est la leur ? Où est-elle ? Est-elle visible ? Ou bien est-elle comme leur groupe, une « association lâche » (en anglais, loose association), sans autorité, sans obligations ? Un tel concept n’a rien de Catholique ! Non que je pense que telle est leur idée de l’Eglise. Mais il me semble que leur erreur consiste plutôt à considérer l’unité de l’Eglise comme secondaire, accessoire, par rapport à la Foi ; comme si avoir la Foi dispensait de la communion ecclésiastique avec les membres même libéraux de l’Eglise. Certes il faut avoir la Foi, dans toute sa pureté, car « sans la Foi il est impossible de plaire à Dieu » (Héb. 11:6) ; mais la Foi sans la Charité ne profite de rien (1 Cor. 13:2). C’est la Charité, « lien de la perfection » (Col. 3:14),  qui nous oblige à garder ce lien de communion, comme l’explique souvent St Augustin (Mgr di Noia a donné quelques passages très beaux de St Augustin à ce sujet, et on pourrait facilement en trouver un grand nombre d’autres semblables).  Il y a là un danger réel et ironique : pour sauver la foi traditionnelle, on risque d’en arriver à la solafide !

Il y a trois mois j’écrivais dans un texte intitulé Plusieurs églises ? : « Voici ce que l’on lit: ‘L’unique partie de l’Église visible qui soit catholique est celle qui est une, sainte, universelle et apostolique. Le reste n’est autre que différentes espèces de pourriture visible (ou concrète).’ Tout de suite, on se pose la question : l’Eglise catholique est-elle seulement ‘une partie de l’Eglise visible’ ? Et cela mène à une autre question, plus fondamentale : est-il légitime de distinguer entre l’Eglise catholique, l’Eglise du Christ et l’Eglise visible. Au contraire, la foi catholique n’oblige-t-elle point à affirmer l’identité entre l’Eglise du Christ, l’Eglise catholique et l’Eglise visible ? Oui ! L’Eglise du Christ est l’Eglise catholique, et cette Eglise est visible ! » Telle était la Foi de Mgr Lefebvre.

Il me semble que ceux qui n’ont « jamais compris la foi de Mgr Lefebvre » sont bien ceux qui rejettent cette Eglise Catholique, visible, concrète, romaine, à laquelle Mgr Lefebvre croyait et à laquelle il avait dévoué toute sa vie, y compris ses dernières années.
LA LUTTE CONTRE "ROME CONCILIAIRE"
Une autre accusation contre Mgr Fellay est qu’il « utilise son autorité pour obliger ses inférieurs à le suivre dans une direction contraire à celle qu'ils ont eue en entrant dans la FSSPX, c.-à-d. le refus de la lutte contre la Rome conciliaire. » Dès l’abord, il faut clarifier l’expression « Rome conciliaire » : si l’on désigne par cela l’esprit conciliaire, les erreurs de Vatican II et leurs multiples applications, une telle accusation est une calomnie, c'est-à-dire qu’elle est fausse et gravement offensante à la réputation de Mgr Fellay. Le choix même des membres de la Fraternité pour les discussions théologiques avec Rome montre bien que Mgr Fellay ne veut aucune faiblesse dans la défense de la vérité Catholique contre les nouveautés conciliaires, et au début de l’année dernière il a très clairement posé comme son premier principe : aucun compromis sur la Foi ! Et les mois suivants n’ont fait que prouver qu’il a été fidèle à ce principe, malgré les fausses prophéties annonçant qu’il allait compromettre la Fraternité. Si on entend au contraire par « Rome conciliaire » une autre structure ecclésiale que celle de l’Eglise Catholique, alors on doit dire que ces personnes avaient une conception fausse de la situation ecclésiale, une conception autre que celle de Mgr Lefebvre ! Non, Mgr Fellay n’est pas « un père dévoyé », mais bien plutôt un père fidèle (avec un petit nombre d’enfants rebelles !)
POUR LA ROME CATHOLIQUE
Ajoutons, et cet argument est fondamental, que la position essentielle de Mgr Lefebvre n’est pas d’abord une position contre mais d’abord une position pour. C’est parce qu’il était pour une fidélité totale à la Foi Catholique de toujours, que Mgr Lefebvre était contre les nouveautés conciliaires. Cette attitude d’abord pour puis contre est manifeste dans sa fameuse Déclaration : « Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la Foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s'est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. » Mais ceux qui se posent d’abord contre une situation de modernisme triomphateur comme dans les années 70-80, ne savent plus se positionner dans une situation différente, telle qu’elle était sous Benoît XVI où il y a eu un effort (incomplet, mais réel) de corriger certaines déviations évidentes et de revenir à plus de tradition dans la liturgie et la vie de l’Eglise. Ils ne savent plus se positionner parce qu’ils n’avaient pas (ou ont oublié) de principe supérieur positif qui, lui, reste valable dans toute situation.
LA RESISTANCE INEPTE
Il y a une autre illusion bien fréquente chez ces critiques : ils comparent leur résistance à Mgr Fellay avec celle de Mgr Lefebvre aux nouveautés conciliaires, on les entend mettre en parallèle « la Révolution conciliaire, et la Révolution accordiste. ». Mais cette comparaison montre au contraire l’inanité de leur position. En effet cette comparaison tourne plutôt à un contraste saisissant ! Considérons trois aspects. Premièrement, Mgr Lefebvre a résisté aux nouveautés conciliaires après qu’elles furent introduites : c’est après le Concile et après la Nouvelle Messe qu’il a commencé son œuvre d’Ecône ; c’est après Assise qu’il a fait les Sacres. Au contraire, c’est avant tout compromis, dans la peur d’un compromis à venir qui n’est jamais venu que ces critiques attaquent Mgr Fellay. Deuxièmement, considérons la magnitude de la cause : d’une part, le Concile, la Nouvelle Messe (et toute la réforme liturgique, car aucun sacrement n’a été épargné), et Assise : ce sont des scandales majeurs avec des dommages immenses pour des millions d’âmes. De l’autre côté, ce sont quelques paroles dans l’impromptu d’une interview et quelques autres occasions qu’on peut compter sur les doigts – à moins de ne considérer comme mauvais ce qui est substantiellement bon, à savoir la communion avec le successeur de Pierre dans l’ordre, du moment que soient respectés les deux principes de Mgr Fellay, pas de compromis sur la Foi, et protection des œuvres de la Tradition. Il y a là un tel contraste qu’on peut difficilement s’empêcher d’admirer l’aveuglement de ceux qui ne le voient pas. Troisièmement, Mgr Lefebvre n’a jamais exigé la démission de Paul VI, malgré la gravité des réformes conciliaires et liturgiques, ni de Jean Paul II malgré la gravité d’Assise ; mais ces critiques exigent la démission de Mgr Fellay… St Augustin enseigne que ce n’est pas les souffrances et la mort qui font le martyr, mais d’abord et avant tout « sa cause » : Mgr Lefebvre avait une « cause » juste et proportionnée pour sa résistance aux nouveautés conciliaires, liturgiques et œcuménistes ; mais les critiques de Mgr Fellay n’ont aucune proportion justifiant leur résistance qui n’est alors que rébellion.
LES ANTI-LIBÉRAUX LIBÉRAUX
Je disais au début qu’ « ils prétendent être anti-libéraux, alors qu’ils tombent eux-mêmes dans le défaut même qu’ils condamnent ». En effet, la caractéristique des libéraux est le refus de l’autorité, que ce soit l’autorité de la vérité dogmatique, l’autorité de la Loi divine, ou l’autorité hiérarchique. « Le libéral est un fanatique d’indépendance, il la prône jusqu’à l’absurdité, en tout domaine » voilà comment le définissait le chanoine Roussel, cité par Mgr Lefebvre (cf. Ils l’ont découronné, p.14). Or voici nos grands anti-libéraux qui proposent « des cellules indépendantes », i.e. une association entre eux… sans autorité ! Parce qu’ils n’ont pas su obéir, les voilà maintenant qui ne savent plus commander. Et puisque l’autorité vient d’en haut, s’étant coupé de leurs supérieurs légitimes, ils ont perdu toute autorité. Mgr Lefebvre au contraire avait fondé une Fraternité, comme une branche vivante bien « entée » sur le tronc de l’Eglise, par l’approbation canonique de Mgr Charrière, et donc avec un ordre hiérarchique légitime que les sanctions injustes n’ont pu détruire. Son œuvre avait donc une ligne d’autorité légitime, comme on en trouve dans toute œuvre vraiment d’Eglise… mais pas chez nos critiques. Et Mgr Lefebvre lui-même a su exercer cette autorité (entre autres pour expulser les sédévacantistes). Là encore on voit le contraste entre la résistance légitime de Mgr Lefebvre et la rébellion de nos critiques, qui, par leur refus de l’autorité, sont vraiment tombés dans le défaut qu’ils critiquaient.

Il y a une grande illusion à prétendre « s'appuyer sur le modèle de la paternité (qui inclut l'autorité) et non sur celui de la structure autoritaire en tant que telle », parce que en rejetant précisément cette « structure autoritaire », ils en arrivent, quoi qu’ils disent, à une paternité sans autorité, typique du libéralisme moderne.  « Si ce n'est pas contradictoire, ce que j'envisagerais ce serait une structure sans autorité, mais avec paternité, avec paternité, oui! Ça c'est indispensable! » Malheureusement pour eux, c’est contradictoire ! Le mot même « autorité » vient du mot « auteur » ; un père qui ne serait pas l’« auteur » de ses enfants, ne serait pas vraiment père !  Un père qui refuserait d’avoir une vraie autorité sur ses enfants serait un père… libéral ! Il n’y a donc pas de vraie paternité sans autorité.

Ils font bien de dénoncer le libéralisme comme « une religion sans règles si ce n’est leur propre volonté. » Mais alors que font-ils avec une association libre de prêtres, association elle-aussi sans règles si ce n’est leur propre volonté ?

Prions pour qu’ils se corrigent et demandent humblement à réintégrer dans la Fraternité. Daigne St Joseph leur obtenir cette grâce!
 

François Laisney