28 septembre 2009

[Père Stephano Maria Manelli, Franciscains de l'Immaculée - La Nef] Un renouveau franciscain

SOURCE - Père Stephano Maria Manelli, Franciscains de l'Immaculée - Christophe Geffroy et Jacques de Guillebon - La Nef - septembre 2009

Fondés en 1970 en Italie par le Père Stephano Maria Manelli, les Franciscains de l’Immaculée, congrégation en plein essor, participent au renouveau de l’ordre de saint François. Depuis le motu proprio de Benoit XVI, ils aiment célébrer selon l’ancien Ordo. Entretien à Rome avec le fondateur
La Nef – De quoi est née la vocation particulière des Franciscains de l’Immaculée ?
P. Stephano Maria Manelli – Cette vocation est née entre autres de mon histoire personnelle : enfant, j’ai été très proche de Padre Pio. Quand j’avais 7 ou 8 ans, je servais sa messe. Et quand j’ai eu douze ans, les franciscains conventuels de ma région m’ont demandé si je voulais les rejoindre. Mon père est alors allé consulter Padre Pio, qui lui a conseillé d’accepter que j’y entre. À cette époque, je ne comprenais d’ailleurs pas les différences qu’il pouvait y avoir entre les franciscains conventuels et les capucins comme Padre Pio. Ainsi, j’ai décidé très jeune de ma vocation. Le mûrissement du projet des Franciscains de l’Immaculée lui-même est venu après le Concile, lequel incitait et exhortait les congrégations et les communautés religieuses à revenir au charisme de leurs origines, à travers le texte Perfectae caritatis. Par ailleurs, saint Maximilien Kolbe, mort quelques années auparavant, nous donnait déjà un exemple lumineux de vie religieuse renouvelée, sous le mode de la dévotion mariale : il signait parfois « Franciscain de l’Immaculée ». Padre Pio avait aussi parlé de ça, indiquant les deux fidélités à tenir : la vie franciscaine et la vie mariale.

En 1969 donc, j’ai demandé la permission au ministre général des conventuels de pouvoir commencer une expérience de vie dans la pauvreté. L’accord m’en a été donné en 1970, après qu’on m’eut demandé de rédiger le programme de vie que je souhaitais développer, et le 2 avril, à Frigento, près de Naples, dans un couvent que les conventuels voulaient fermer – qui s’appelait Notre-Dame du bon Conseil – a commencé notre vie communautaire, sous le signe de la pauvreté, de la pénitence et de la dimension mariale, ou « marianité », comme nous disons dans un néologisme.

Le chapitre de la province de Campanie ayant avalisé cette expérience, nous avons commencé à deux frères : le père Gabriel et moi. Notre apostolat se manifestait dans la prédication, la prière, la pauvreté, la pénitence, et ce que nous appelons le « Sentier Marial de vie franciscaine ».

En quelques années, les vocations ont afflué, alors que chez les conventuels elles diminuaient.
Comment expliquez-vous ce succès ?
Je pense que c’est notre retour au charisme des origines de l’Ordre de saint François qui explique l’afflux des vocations, alors que nous étions peu connus et qu’il y a une perte générale des vocations en nos pays européens. Cette volonté de retourner aux sources a été facilitée par le retrait du lieu lui-même, qui est situé dans une zone montagneuse difficilement accessible. Peu après, le ministre général des conventuels m’a demandé de lancer une mission aux Philippines, où trois frères sont partis. La forme de vie religieuse a attiré aussi de nombreuses vocations là-bas. Nous avons alors entrepris de développer la catéchèse, la prédication mariale et la théologie mariale. C’est ainsi que s’est accru notre apostolat dans la presse et notamment dans la radio, au début des années quatre-vingt.
En quoi consiste précisément cette « presse mariale » ?
En des dépliants, des revues, des brochures, des livres de dévotion et de spiritualité, des textes de théologie mariale que nous diffusons principalement aux pèlerins dans nos sanctuaires, toujours gratuitement, fidèles à notre esprit de pauvreté, et pour lesquels nous recevons une offrande libre.

La radio, elle, émettait huit heures par jour au début. Au fur et à mesure, nous avons atteint les 24 heures de diffusion. C’est une radio évidemment religieuse, avec prière, messe, rosaire, catéchèse, vie de saints, instruction morale et étude biblique. Le tout est assuré par des frères.
En quoi consiste votre « vœu marial » ?
Saint Maximilien Kolbe en avait eu l’intention le premier, pour envoyer les frères dans le monde et convertir les âmes en leur présentant l’Immaculée qui engendre Jésus dans le cœur des fidèles. Mais il s’était fait arrêter dans cet élan par ses supérieurs. Pourtant il a annoncé qu’un jour ce vœu se prononcerait dans l’ordre. Pour nous, ce vœu de « consécration illimitée à l’Immaculée » est le premier vœu, le vœu constitutif en tant qu’il englobe tous les autres.
Concrètement, les frères s’engagent à la sanctification en donnant à l’Immaculée absolument tout, leur âme, leur corps, leur vie, leur apostolat, leurs souffrances, etc. Parce que l’Immaculée donne la fécondité maximale à tous ceux qui lui sont donnés. Si nous ne nous donnons pas à elle, tout demeurera imparfait. Si nous donnons tout à la Sainte Vierge, tout devient parfait. Nous voulons porter Marie, parce que c’est elle qui engendre Jésus et nous le donne.
Comment vivre de la pauvreté au XXIe siècle ?
On peut dire que nous avons toujours été soutenus par la Providence. Au début, par exemple, le boucher du village se plaignait de ne jamais nous voir et supposait que nous allions nous fournir chez un boucher concurrent dans un autre village. Le médecin, entendant ça, est venu nous visiter, et nous lui avons expliqué que nous ne mangions jamais de viande. Considérant que c’était mauvais pour la santé, il s’est offert de nous en apporter le dimanche. Et ainsi, pendant quarante ans, il a préparé le repas dominical pour tous les frères…
C’est la démonstration de la Providence qui se manifeste à travers la Sainte Vierge. Comme nous nous préoccupons uniquement d’Elle, en retour elle pense à nous. Naturellement, nous devons nous contenter de peu. Mais nous avons calculé que nous recevions ainsi l’équivalent de 500 000 euros de dons par an. Et les donateurs sont simplement les « bonnes gens », les simples chrétiens.
Au début, cette nouvelle règle a créé des tensions avec les conventuels. Ça a été un moment très délicat. En 1989, nous avons reçu un visiteur apostolique pour vérifier notre situation. De ce qu’il a vu de notre forme de vie, de notre vocation, de nos études théologiques et philosophiques, de notre séminaire, de notre apostolat, ce visiteur a conclu que nous pouvions devenir une congrégation indépendante de droit diocésain. Le pape Jean-Paul II a alors nommé l’archevêque de Bénévent pour s’occuper de nous.
Ainsi, nous avons pu mieux nous développer, outre en Italie, vers l’Afrique, l’Amérique latine, les États-Unis et les Philippines. Le 22 juin 1990, nous sommes devenus une communauté de droit diocésain. Alors, nous avons ouvert de nouvelles maisons, créé une station de radio et de télévision en Italie, aux Philippines, au Brésil, au Bénin. Puis, en janvier 1998, nous avons été érigés par le pape en communauté de droit pontifical. Aujourd’hui, nous sommes 350 frères, sans compter les postulants.
En 1982, nous avons créé une branche féminine aux Philippines, lesquelles sont venues l’année suivante en Italie : comme les frères, leur vocation est contemplative-active ; elles soutiennent les missions et l’apostolat de notre famille religieuse par leur prière mais aussi par leur contribution active. En 1993 à Monte Casino, elles ont obtenu à leur tour l’érection en communauté de droit diocésain et, en novembre 1998, en droit pontifical. Elles sont aussi 350.
En outre, les frères comme les sœurs ont une branche purement contemplative : ceux qui aspirent à cette vie peuvent se dédier avec plus d’intensité à la prière et à la pénitence dans le silence du cloître.
Chaque année, nous rejoignent 60 à 70 nouveaux membres (frères et sœurs confondus).
Nous avons enfin une branche laïque dénommée la Mission de l’Immaculée Médiatrice.
Êtes-vous implantés en France ?
Oui, seulement dans le diocèse de Fréjus-Toulon où les frères ont une petite maison au sanctuaire Notre-Dame des Anges à Pignans.

Vous êtes récemment revenus, en partie, à la forme extraordinaire. Pourquoi ?
Pour deux raisons : d’abord parce que ça plaît au pape. Et les désirs du pape sont comme des ordres. Ensuite, parce que ça nous plaît aussi à nous (rires). Au début de la réforme, en 70, j’étais enthousiaste. Car dans les années 70, en Italie, il y avait « seulement » 60 % de pratiquants et nous avions peur que la fréquentation des églises continue à diminuer. D’où l’espérance que nous procurait une réforme liturgique venue d’un Concile qui avait fait de grandes choses. Cette espérance perdura quelques années malgré la souffrance causée par la disparition du latin et du grégorien ou de l’autel tourné vers le peuple. Mais entre 1975 et 1980, l’espérance commença à diminuer et, aujourd’hui, on ne peut que constater l’échec du point de vue de la pratique, puisqu’on est tombé en Italie à 10 % (n’oublions pas que la réforme avait pour but de stopper la baisse de la pratique). Quand il était cardinal, Josef Ratzinger écrivait déjà sur la dévastation de la liturgie.

Aujourd’hui, nous espérons que la cohabitation des deux formes du même rite romain conduira à la resacralisation de la forme ordinaire, notamment par le retour du latin qui avait été totalement abandonné. Nous avons certes une préférence marquée pour l’ancienne forme, mais il n’est pas possible qu’elle redevienne la forme ordinaire de la messe. Il faut souhaiter que le pape vive assez longtemps pour que la « réforme de la réforme » puisse voir le jour dans cinq à dix ans : il faudrait presque un miracle pour mener à bien une telle réforme !
Pourquoi n’être pas revenu plus tôt à l’ancienne messe ?
C’était impossible, nous en parlions déjà, nous lisions les écrits du cardinal Ratzinger, mais sous le régime du motu proprio Ecclesia Dei (1988), il fallait demander la permission des évêques pour célébrer l’ancienne forme liturgique et aucun évêque italien n’y était favorable, ils s’étaient même accordés pour refuser le motu proprio, bien que Jean-Paul II ait poussé les évêques à le permettre. Le motu proprio Summorum Pontificum (2007) a radicalement changé la situation en passant par-dessus les évêques, ce qui nous a permis de célébrer tout à fait légalement l’ancienne forme de la messe.
Y a-t-il d’autres exemples en Italie de retour à cette forme ?
Non, pas pour l’instant, cela n’a concerné que des prêtres individuellement, et certains viennent même la célébrer « en cachette » chez nous !
Et dans la communauté, comment cela se passe-t-il ?
On peut parler de choix préférentiel mais nullement imposé. Ce choix est très apprécié surtout de la part des jeunes, qui ont plus de facilité à apprendre l’ancien rite. Ceux qui sont déjà ordonnés ont plus de mal. En Italie, de manière générale, un seul évêque y est favorable et peu de fidèles ont l’occasion d’assister à la messe dans la forme extraordinaire, donc peu la réclament. Mais dans le reste du monde, notamment aux Philippines, cette forme est très appréciée. Aux États-Unis aussi, les réactions sont assez enthousiastes, plus qu’en Italie en tout cas.
Avez-vous des liens avec les communautés Ecclesia Dei ?
Non, nous en avons très peu pour l’instant.
Comment voyez-vous le pontificat de Benoît XVI ?
On doit prier pour lui car il s’est lancé dans une entreprise terrible, qui est de tout recommencer par la vie de prière de l’Église. En ce sens, la liturgie doit être renouvelée, car l’Église a commencé à s’affaiblir avec la réforme liturgique contre toutes les espérances. Le pape veut repartir de la prière pour renouveler l’Église. Il cherche aussi à éviter les ruptures, notamment dans la réception du Concile Vatican II – c’est la fameuse « herméneutique de la réforme dans la continuité ». Il peut toutefois exister dans le Concile des discontinuités sur des points précis, cela n’aurait rien de scandaleux, car celui-ci s’étant voulu « pastoral », il a pu y avoir en cela des « erreurs » que le pape peut corriger, comme Mgr Gherardini l’a montré dans une étude que nous avons publiée et qui sera bientôt traduite en français. C’est une très lourde tâche et pour l’accomplir il a seulement 300 ou 400 évêques dans le monde avec lui.

Propos recueillis par Christophe Geffroy et Jacques de Guillebon

Pour tout renseignement : Frères Franciscains de l’Immaculée, Sanctuaire Notre-Dame des Anges, 83790 Pignans. Tél. : 04 94 59 00 69. Fax : 04 94 78 28 54. Mail : ffndanges@wanadoo.fr ; Site : www.immacolata.com ; www.airmaria.com  
En Italie : Séminaire Théologique de l’Immaculée Médiatrice, Santuario Madonna delle Indulgenze, Via Casalucense 1356, I-03049 Sant’Elia Fiumerapido (Fr). Mail : ffi.cassino@immacolata.ws ; Tél. : (0039) 0776 35 02 72.

Rencontre avec le P. Manelli  
C’est par le Bénin que nous avons connu les Franciscains de l’Immaculée : ils y animent une radio chrétienne. C’est le seul Français de la Communauté, Frère Juan Diego, qui tenait alors le micro. Nous l’avions interviewé pour qu’il nous présente ces Franciscains hors norme (cf. La Nef n°191 de mars 2008). C’était peu de temps après la promulgation du motu proprio Summorum Pontificum et nous ne savions rien alors de leur attirance pour l’ancienne liturgie. Depuis, beaucoup d’entre eux célèbrent régulièrement selon la forme extraordinaire du rite romain comme le permet ce texte libérateur du pape. Une communauté aussi importante qui est dans son ensemble ainsi attirée par l’antique liturgie de l’Église latine, ça mérite un détour. Heureusement, nous étions restés en contact avec Frère Juan Diego qui, entre-temps, était reparti en Italie poursuivre sa formation dans leur séminaire de Villa Santa Lucia à une heure de Rome environ. L’événement de la messe traditionnelle célébrée le 21 avril 2009 à la basilique Saint-Jean de Latran par le cardinal Canizarès Llovera, préfet de la Congrégation pour le Culte divin, à la demande des Franciscains de l’Immaculée pour célébrer le 800e anniversaire de l’approbation de la règle de saint François (cf. La Nef n°203 d’avril 2009), nous a poussés à prendre contact avec le supérieur et fondateur de la Communauté, le P. Stephano M. Manelli. C’est ainsi que nous fûmes invités à Rome fin juin, début juillet pour le rencontrer et l’interviewer. 
L’accueil fut extraordinaire, dans la bonne tradition franciscaine : nous avons rencontré des frères, dignes disciples de saint François, ayant épousé Dame pauvreté dans la joie du vrai détachement : comme il est réconfortant de voir un ordre fidèle au charisme de son fondateur avec de nombreuses vocations d’hommes jeunes et totalement épanouis (ceux que nous avons rencontrés venaient principalement d’Italie, des Philippines et d’Afrique). Le charisme marial de la Communauté est très marqué et se manifeste par un « Ave Maria » comme premières paroles de chaque rencontre. Les exemples de saint Maximilien Kolbe et saint Padre Pio sont ici très palpables.

La rencontre avec le P. Manelli est attendue avec impatience. Après le déjeuner pris avec quelques frères dans leur tout petit couvent romain (en terrasse d’un immeuble derrière la Via della Conciliazione), ce dernier nous reçoit pour l’interview réalisée en italien grâce aux talents linguistiques de notre cher frère Juan Diego. Le P. Manelli, qui est un vrai père pour les frères, pétille d’intelligence et d’humour. Il nous explique qu’il servait la messe du Padre Pio. Il évoque aussi ses parents. Son père, Settimio Manelli (1886-1978), dont le procès de béatification est en cours d’ouverture, est lui-même un fils spirituel de Padre Pio qui le décrivait comme « un chrétien tout en un seul morceau ». En 1926, il épouse Licia Gualandris (1907-2004), elle-même profondément chrétienne, qui lui donna 13 enfants (mais elle eut 21 maternités !). Aussitôt après leur mariage, Settimio – avant de commencer le voyage de noces – conduit son épouse auprès de Padre Pio pour la lui faire connaître. Souhaitant se confesser, la jeune mariée (19 ans) lui recommande la famille qu’elle s’apprête à fonder, et le père prononça ces paroles inoubliables : « La protéger ? Et comment ! Celle-ci est ma famille, et pour moi ce sera désormais un devoir ». Il en a été effectivement ainsi par la suite.

Deux beaux exemples de foi pour les foyers d’aujourd’hui.