26 octobre 2013

[Guillaume Luyt - Présent] Rome en mode extraordinaire

SOURCE - Guillaume Luyt - Présent - 26 octobre 2013

De notre correspondant permanent au Siège Siège
Rome en mode extraordinaire
François saluera-t-il les pèlerins du peuple Summorum Pontificum qui, ce samedi, se retrouvent à Saint-Pierre de Rome pour une messe pontificale célébrée par le cardinal Castrillón Hoyos à l’occasion du 61e anniversaire de son ordination sacerdotale?
 
La question n’est pas accessoire car, pour l’instant, le pape n’a consacré explicitement – c’était dans l’entretien aux jésuites – que deux phrases à la liturgie traditionnelle et à ceux qui y sont attachés : « Je pense que le choix du pape Benoît fut prudentiel, lié à l’aide de personnes qui avaient cette sensibilité particulière. Ce qui est préoccupant, c’est le risque d’idéologisation du Vetus Ordo, son instrumentalisation.»

De nombreux catholiques de tradition, en particulier sur ce fabuleux mais souvent cacophonique tam-tam qu’est internet, ont considéré que c’était également leur sensibilité qui était visée par l’évêque de Rome quand celui-ci a mis l’Eglise en garde contre le triomphalisme ou encore contre le pélagianisme. Sauf qu’il ne s’agit que d’interprétations des intentions du pape, pas forcément de ce que le jésuite qu’il est a voulu réellement communiquer.
Un avertissement
Reste que les deux seules phrases du pape concernant effectivement la liturgie traditionnelle – qu’il appelle « Vetus Ordo » – ne témoignent pas d’une grande ouverture. Là où François parle d’un choix « prudentiel » de Benoît XVI « lié à l’aide de personnes qui avaient cette sensibilité particulière », Benoît XVI avait très clairement, dans sa lettre aux évêques, souligné qu’il était « bon pour nous tous de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Eglise » et noté que, tandis qu’on « pouvait supposer que la demande de l’usage du Missel de 1962 aurait été limitée à la génération plus âgée (...) il est apparu clairement que des personnes jeunes découvraient également cette forme liturgique, se sentaient attirées par elle et y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère de la Très Sainte Eucharistie qui leur convenait particulièrement».

La seconde phrase, sur le risque d’idéologisation et d’instrumentalisation du « Vetus Ordo » sonne encore plus, sinon comme un couperet, du moins comme un avertissement. Reconnaissons que Benoît XVI lui-même, toujours dans sa lettre aux évêques accompagnant le motu proprio Summorum Pontificum, avait constaté que « les exagérations ne manquent pas » parmi « certains fidèles liés à l’ancienne tradition liturgique latine ». Mais, plus qu’une condamnation, c’était une occasion pour lui d’assurer aux évêques qu’il comptait sur leur « charité et [leur] prudence pastorale » pour servir « de stimulant et de guide pour perfectionner les choses ». Ce qu’on peut appeler une correction paternelle, faite de bienveillance et de vérité.
Les périphéries du pape
Si beaucoup de fidèles et de prêtres pensent, non sans raisons objectives, que l’actuel pontificat marque un retour en arrière en matière de liturgie et que, par certains aspects, nous assistons au retour des années Paul VI, certains observateurs, connaisseurs de l’ancien cardinal de Buenos Aires, estiment que le pèlerinage de ces jours-ci pourrait offrir au pape François l’occasion d’un coup de barre « à droite » après tant de coups de barre « à gauche ». Pape des « périphéries », François ne peut totalement ignorer que les catholiques liés à la liturgie grégorienne ont, depuis 50 ans, été relégués aux confins de l’Eglise: combien de curés révoqués, de religieux persécutés, de fidèles méprisés au seul prétexte de leur attachement à ce qui, jusqu’à la réforme conciliaire, avait été non seulement la norme mais aussi la source et le sommet (fons et culmen) de la vie de l’Eglise?

Si François devait faire un geste ce samedi envers le peuple Summorum Pontificum, ce ne serait somme toute que justice : pour les fidèles, pour les ecclésiastiques, mais aussi pour son prédécesseur dont les médias et un certain clergé ont hâte de prononcer la damnatio memoriae.

Alors que le qualificatif « ratzinguérien » semble devenu une insulte à Rome – mercredi matin, deux prêtres en soutane ont eu la surprise de s’entendre apostropher de la sorte par un confrère inconnu à leur entrée dans la salle de petit-déjeuner de la Maison romaine du Clergé, à deux pas du Vatican – certains n’hésitent cependant pas à témoigner de leur fidélité à Benoît XVI. C’est le cas de Mgr Rifan, ordinaire de l’administration apostolique saint Jean-Marie Vianney de Campos, au Brésil – qui célèbrera dimanche la messe de clôture du pèlerinage en la basilique de la Minerve pour la fête du Christ-Roi – qui, sur son blog, a expliqué ainsi la raison de sa participation au pèlerinage Summorum Pontificum : « Ma présence manifeste mon appui aux catholiques liés dans le monde entier à la liturgie traditionnelle et, dans le même temps, a pour but de montrer qu’il est possible de la conserver tout en étant en parfaite communion avec le Saint-Père et avec toute l’Eglise. Ainsi comprise, la messe ancienne contribue grandement à la justesse de l’ars celebrandi et à la « paix liturgique » dans l’Eglise, comme le désirait Benoît XVI.»

Le pape François partage-t-il cette vision ? La réponse nous sera donnée aujourd’hui à Rome.
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De notre correspondant auprès du Saint-Siège Guillaume Luyt

Article extrait du n° 7968 de Présent, du Samedi 26 octobre 2013