26 novembre 2013

[Abbé Henry Wuilloud, fsspx - District de Suisse] Lorsque Salomon ordonna la dédicace du majestueux temple...

SOURCE - Abbé Henry Wuilloud, fsspx - District de Suisse - Circulaire 86 - Décembre 2013

Bien chers fidèles,

Lorsque Salomon ordonna la dédicace du majestueux temple qu’il avait fait construire sur le mont Moriah à Jérusalem, il se passa un fait bien étonnant. Nous pouvons lire dans le IIe livre des Chroniques : « La maison de Yahweh fut remplie d’une nuée. Les prêtres ne purent pas y rester, à cause de la nuée ; car la gloire de Yahweh remplissait la maison de Dieu. Alors Salomon dit : Yahweh veut habiter dans l’obscurité ! Et moi, j’ai bâti une maison qui sera votre demeure, et un lieu où vous résiderez à jamais.»[1]

Le Dieu de lumière, plus brillant que mille soleils, veut habiter dans l’obscurité. Il a fait des ténèbres le lieu de sa retraite, nous dit un psaume[2] : comme si le bon Dieu ne voulait pas nous éblouir, ou comme s’Il voulait passer inaperçu. N’est-ce pas cela qui se déroule aujourd’hui dans son Eglise, où Il semble comme avoir disparu dans la pénombre des lendemains conciliaires? Bien sûr, le bon Dieu est là! mais il est difficile de mieux préciser…

Mais pourquoi donc Dieu aime-t-Il se dissimuler? Nous fait-Il perdre pied ? Nous aimerions voir et toucher, mais le Seigneur se dérobe : Ne me touche pas, dit-Il à sainte Marie-Madeleine. Nous qui devrions Le connaître, nous ne Le comprenons pas… Et pourtant Il agit presque toujours ainsi. N’est-ce pas un Dieu caché que nous recevons habituellement durant les saints Mystères ? Ô quel mystère pour la raison qu’un Dieu si puissant se donne sous de si faibles dehors ! Pensons-nous vraiment qu’Il va s’y prendre autrement dans son Eglise ? Non, Il est là et Il agit, mais dans un silence impressionnant et une opacité déconcertante.

Nous qui nous disons chrétiens, donc au Christ, nous nous troublons rapidement ; et pourtant devant l’agir de notre Dieu, on devrait simplement s’exclamer : ah, là on Le reconnaît bien, c’est tout Lui cela !

Cette affirmation est bien actuelle : dans l’Eglise qui gît blessée des innombrables coups qu’elle subit depuis des décennies, où reste le Médecin des âmes, où s’est retirée la Tête du Corps mystique ? On trouve déjà de telles interrogations dans l’Ancien Testament, chez le prophète Malachie qui peste contre les prêtres infidèles : « Vous avez fait souffrir le Seigneur par vos discours, et vous avez dit : En quoi l’avons-nous fait souffrir ? En ce que vous dites : Quiconque fait le mal est bon aux yeux du Seigneur : tels sont ceux qui lui plaisent. Certes s’il en est ainsi, où est le Dieu de la justice ? »[3] Oui, où êtes-vous, Seigneur ? Usquequo… jusqu’où laisserez-vous aller cette débandade effrayante ? Où est la corde qui freinera cette chute désolante ? Le bon Dieu est silencieux, Il laisse faire… à nous de laisser opérer sa Sagesse.

Voyons comment dans l’Evangile, Jésus manifeste sa puissance comme pour mieux la réduire ensuite. A Capharnaüm où plusieurs centaines de disciples retrouvent le Sauveur après son fameux miracle de la multiplication des pains, Jésus les a épatés : oui, un tel Seigneur, c’est exactement celui dont ils avaient besoin. Le problème est que les vues de Dieu rejoignent rarement celles des hommes : « Vous me cherchez, non parce que vous avez vu des prodiges, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés. »[4] Mais en fait, le Seigneur a autre chose à nous proposer : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous. (…) Ma chair est véritablement une nourriture et mon sang véritablement un breuvage. »[5] Alors beaucoup de ses disciples se retirèrent et ne marchèrent plus avec lui, remarque laconiquement l’Evangile.

Bien chers fidèles, dans la Fraternité, chaque année, des prêtres et des fidèles en désaccord avec la ligne suivie par la Fraternité ne veulent plus marcher avec elle. A ce sujet, il me semble que l’on pourrait faire tirer un parallèle avec ce même passage évangélique. Le discours de la Fraternité qui jusqu’à l’évidence a gardé et transmis un dépôt immense et magnifique, tout d’un coup ne plaît plus à certains. Son discours agace et révulse : « Ces paroles sont dures et qui peut les écouter ? »[6] et ces prêtres et fidèles partent sous d’autres cieux. Et si la Fraternité venait à nous dire : Vous aussi, voulez-vous vous retirer ? Ne pourrions-nous pas nous exprimer comme saint Pierre (sans donner bien sûr la même valeur aux deux destinataires de la réponse) : « Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle, nous l’avons vu et nous l’avons reconnu ; vous êtes le Christ, Fils de Dieu » ; même si votre manière d’agir nous surprend, nous n’avons personne d’autre vers qui nous tourner. Oui, nous bénéficions de grâces incomparables dans cette famille de la Tradition, mais nous y portons aussi des croix, les deux étant indissociables.

Saint Jean Chrysostome a analysé les départs des disciples du Christ. Tout d’abord, dit-il, ils se disputent entre eux. « Les Juifs disputent entre eux », car ils font un sujet de discussion des dogmes de la foi. Et c’est en vain que Jésus affirme avec encore plus de force : « En vérité, je vous le dis ». On s’arrête rarement sur la route ! Après la dispute, vient le doute téméraire : « Comment ? » Comment cela peut-il se faire que celui-ci nous donne sa chair à manger ? Après avoir douté, les disciples condamnent, puis enfin ils consomment leur crime en se retirant : « Ce discours est dur, qui pourrait le supporter?»

Permettez-moi d’appliquer ces paliers à ceux qui quittent la Fraternité. Ce n’est pas les personnes qu’il m’importe de juger, mais plutôt un comportement qu’il s’agit d’analyser.

D’abord la dispute ne se porte pas sur le dogme, mais sur l’autorité. Depuis que "Le Rhin s’est jeté dans le Tibre", les catholiques voulant rester fidèles se sont senti la responsabilité de tout juger par eux-mêmes. Puisqu’on a failli se faire avoir par les modernistes, on a pris l’habitude de se méfier de toute autorité. L’autorité navigue donc difficilement dans cette tempête, et chaque matelot se sent en veine de présenter son opinion. Et il le fait autour de la table, au téléphone, au clavier, un peu partout sauf devant ses chefs.

Chers amis, cela fait quarante ans passés que, dans nos milieux, on critique à tort ou à raison l’autorité. Cela a laissé des traces profondes, dont nous subissons les conséquences. Car ainsi la porte est grand ouverte pour le doute ; on soupçonne facilement : tel détenteur de l’autorité n’est-il pas franc-maçon ? sinon moderniste, comme un loup sous une pelisse de brebis ? En tous les cas, c’est évident, comme il y a anguille sous roche, il y aura aussi trahison en approche. Je pourrais vous citer des pages d’affirmations grotesques qui paraissent pourtant tellement vraies. Et ayant bien taraudé les certitudes des autres fidèles, ils partent le ton haut, pour bien faire résonner partout qu’eux-mêmes resteront indéfectiblement attachés au combat de la foi.

Encore une fois, loin de nous de vouloir les juger. Même ceux qui ont vu le Seigneur lui-même faire des miracles, guérir d’innombrables victimes, sont partis. Alors pourquoi pas nous ?! Ce risque persistera toujours. Mais encore une fois, à qui irions-nous ? Pour nous, ajoute encore saint Jean Chrysostome, restons avec la troupe des apôtres ; elle est peu nombreuse, mais elle est fidèle. Écoutons Pierre qui, parlant au nom des chrétiens, professe la foi de tous les chrétiens : A qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle. Ô Pierre ! vous avez parlé à votre maître d’une manière excellente, et c’est à cause de cela que nous, à notre tour, nous disons à ceux qui voudraient nous détacher de vous : A qui irions-nous si ce n’est à Pierre, le chef et le rocher, le pasteur des brebis et des agneaux, l’héritier des paroles de vie ?

La Fraternité a toujours su garder cette déférence envers Pierre, même lorsque celui-ci se mettait à table avec les Juifs et qu’ainsi il ne marchait pas droit selon la vérité de l’Evangile[7]. Mais le respect ne l’a pas empêchée de parler clairement et fermement. Il me semble encore capital d’ajouter qu’il faut laisser cette responsabilité de critique aux plus hautes autorités de la Fraternité, et non que chacun se l’arroge car nous avons vu ci-avant combien une telle attitude pouvait être dommageable dans nos milieux.

Que cette nouvelle année qui va nous faire entrer dans le centenaire de la mort de notre saint patron saint Pie X, nous permette de puiser dans ses enseignements sa haine de l’erreur et son amour de la sainte Eglise. Que Dieu nous vienne en aide !

Abbé Henry Wuilloud
Supérieur de District
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[1] 2 Chroniques 6/1
[2] Psaume 17/12
[3] Malachie 2/17
[4] Jean 6/26
[5] Jean 6/55
[6] Jean 6/61
[7] Galates 2/11