18 juin 2015

[Paix Liturgique] La forme extraordinaire à Tokyo

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°496 - 18 juin 2015

L’abbé Ikeda et ses servants de messe (2015).
Il y a quelques semaines nous est parvenu le témoignage d’un jeune catholique de Singapour (voir notre lettre 478) ayant servi la messe auprès de la communauté Summorum Pontificum de Tokyo. Cela nous a incités à prendre contact avec les représentants de cette communauté – et en particulier Hajime Kato, président d’Una Voce Japon, que nous remercions vivement de son aide – qui ont promptement accepté de répondre à notre curiosité. Voici donc un aperçu de l’état la forme extraordinaire au Pays du Soleil Levant.

À l’heure actuelle, la célébration régulière et hebdomadaire de la forme extraordinaire du rite romain au Japon repose sur un prêtre de 86 ans, l’abbé Ikeda, père paulinien (SSP), auteur reconnu de nombreux ouvrages catholiques en japonais. Depuis 2007, d’autres prêtres, diocésains comme religieux, ont célébré selon le missel de saint Jean XXIII, en particulier le chanoine Ueda (ICRSP), aumônier d’Una Voce Japon mais basé en Californie.

L’Église au Japon demeure marginale, puisqu’elle n’y compte qu’un peu plus de 440 000 baptisés, soit 0,35% de la population avec environ 1 400 prêtres. C’est saint François-Xavier qui y a apporté la foi catholique au XVIème siècle, laquelle a été bannie ensuite du pays pour plus de deux siècles jusqu’à ce que les MEP (Missions étrangères de Paris) n’y prennent pied au XIXème siècle.

Deux associations – Una Voce Japon et Akenohoshi-Seibono-Tsudoi [Rassemblés sous l’Étoile du Matin] – assurent à tour de rôle et de façon complémentaire la messe dominicale que chante depuis le dimanche de Pâques 2011 (sauf le 1er dimanche du mois) l’abbé Ikeda en la chapelle des pauliniens de Wakaba (Shinjuku, Tokyo).
I – ENTRETIEN AVEC L’ABBÉ IKEDA
1) M. l’abbé, quand avez-vous découvert la messe traditionnelle?
Fr. Ikeda: Je suis né et j’ai grandi à Miyazaki (au sud de l’île de Kyushu, la plus méridionale des grandes îles de l’archipel). J’appartenais à la mission catholique de Miyazaki que les pères salésiens (SDB) dirigeaient. J’ai commencé à servir la messe à l’âge de 10 ans, en 1938 et ai très vite appris par cœur à répondre en latin.

2) Comment avez-vous appris le latin?
Fr. Ikeda: Après la Seconde Guerre mondiale, vers l’âge de 19 ans, je suis entré à l’université Sophia de Tokyo, fondée par les jésuites. J’y ai eu des cours de latin pendant cinq ans. Les deux premières années, nous avions six cours de latin par semaine et un contrôle tous les 15 jours. Durant les deux dernières années, l’enseignement des matières principales lui-même était dispensé en latin (ontologie, philosophie morale, logique, etc.)

3) Après votre diplôme, qu’avez-vous fait?

Fr. Ikeda: De 1953 à 1957, j’ai continué à étudier la théologie au séminaire international Saint-Paul de Rome. Les livres de morale et d’apologétique étaient rédigés en latin mais les commentaires oraux se faisaient en italien. J’ai été ordonné prêtre à Rome, en 1957.

4) Après votre ordination, quelle messe avez-vous célébrée ?

Fr. Ikeda: De mon ordination jusqu’à l’Avent 1969 [date d’entrée en vigueur du Novus Ordo, ndlr], j’ai célébré la messe tridentine que je connais doc bien et qui a nouri spirituellement mes années de jeunes prétres. À partir du 1er dimanche de l’Avent de 1969, j’ai célébré le Novus Ordo en japonais.

5) Quand et pourquoi êtes-vous revenu à la messe traditionnelle (la forme extraordinaire du rite romain)?

Fr. Ikeda: Lorsque l pape Benoît XVI a promulgué le Motu Proprio Summorum Pontificum le 7 juillet 2007 je lui ait été bien reconnaissant. En 2011, j’ai décidé de la célébrer dans notre chapelle des pères pauliniens. L’annonce de cette célébration sur Internet et sur le bulletin de l’archidiocèse a toucher aussitôt de nombreux fidèles à travers tout le pays. Nous avons aussi acceulli des étrangers de passage, dont certains ont même tenu à servir la messe. Souvent il arrive que notre chapelle, qui peut contenir jusqu’à 50 personnes, soit pleine ce qui à Tokyo n'est pas négligeable !

6) Vous célébrez l’une comme l’autre forme du rite romain : que retirez-vous de la célébration de la liturgie traditionnelle?

Fr. Ikeda: Tout d’abord, dans la forme extraordinaire tout m’amène à me concentrer tout particulièrement sur Jésus-Christ, mort sur la Croix pour nous. De ce fait, je me sens continuellement en présence de Dieu, Lui parlant dans la prière, la louange et l’action de grâces pour obtenir Son pardon et Sa bénédiction pour les fidèles et moi. Ensuite, la messe est chantée en grégorien selon le Liber Usualis par un chœur d’hommes et de femmes et cela favorise selon moi une atmosphère de mystère qui porte les âmes des fidèles à l’adoration du Christ réellement présent dans le pain consacré.
II – LES COMMENTAIRES DE PAIX LITURGIQUE
1) En 2007, un missionnaire britannique des pères de saint Colomban (SSC), l’abbé Horgan avait commencé à offrir la forme extraordinaire du rite romain à Tokyo. Fasciné par l’importance des rites chez les Japonais, à commencer par la cérémonie du thé et les prières dans les temples, il profita du Motu Proprio Summorum Pontificum pour apprendre à célébrer selon le missel de 1962 et offrir la messe aux fidèles, convaincu que cette liturgie trouverait un écho favorable parmi eux. Hélas, quand il repartit en Angleterre, en 2008, aucun prêtre n’était prêt à prendre sa suite. Dans un récent numéro de Mass of Ages, la revue de la Latin Mass Society, le père Horgan témoigne de son expérience japonaise et souligne combien « la révérence innée [des Asiatiques] pour le sacré, leur respect de toutes les formes de culte et leur compréhension intuitive de ce que tout ce qui touche au rite doit contribuer à la prière » les dispose favorablement à la liturgie traditionnelle de l’Église.

2) On remarquera dans l’entretien accordé par l'abbé Ikeda que l'apprentissage du latin ne lui a été nullement une gêne pour accéder à la théologie et à la liturgie. La même remarque pourrait être faite pour les autres pays d’Extrême-Orient où le clergé et les séminaristes ont, jusqu'à récemment, toujours brillé par leur connaissance de la langue de l'Église. En Chine, le latin est même une valeur ajoutée toujours plus prisée dans l'enseignement universitaire.

3) La Fraternité saint Pie X a depuis des années une mission au Japon, desservie par un prêtre lui-même japonais, l’abbé Onoda. Tous les premiers dimanches du mois, la messe est dite à Tokyo tandis qu’Osaka est visitée deux fois par mois. Nous ne savons pas si le fait que l’abbé Ikeda ne célèbre pas le 1er dimanche du mois a quelque chose à voir avec la mission de la FSSPX mais il s’agit pour le moins d’une heureuse complémentarité.
Un autre prêtre, retraité de ses activités diocésaines, célèbre aussi la forme extraordinaire à Tokyo. L’abbé John Akito Nariai, qui a découvert la liturgie traditionnelle alors qu’il était aux États-Unis, célèbre à domicile et est ainsi le seul prêtre du Japon à offrir quotidiennement la messe traditionnelle.

4) Le Japon présente une particularité liturgique unique au monde, exactement à l’inverse de ce que pratiquaient les jésuites en Chine en adoptant certains rites religieux locaux. Au Japon, pays qui compte à peine 1 % de chrétiens, toutes confessions confondues, de très nombreux couples se marient « à l'occidentale », dans une chapelle ou une église, pour bénéficier du cérémonial qui entoure cet événement. Toutes les belles théories d’« inculturation » des théologiens des années 60 à 80 en sont renversées ! De fait, depuis 1975, le Saint-Siège accorde le droit aux paroisses japonaises de bénir les unions de non-catholiques dans une visée missionnaire. Il s’agit bien entendu uniquement d’un sacramental, d’une simple bénédiction pour un mariage qui est véritable mais n’est certes pas un mariage sacramentel. Pour en bénéficier, les fiancés s'engagent à suivre une préparation qui, si elle est bien menée, peut se révéler un excellent moyen missionnaire. Au-delà du folklore, cette pratique dénote l’attrait puissant que la liturgie catholique peut exercer sur des âmes désireuses de solennité.

----- Pour assister à la messe de l’abbé Ikeda, rendez-vous sur le site d’Una Voce Japon