13 octobre 2015

[Paix Liturgique] Entre Saintes et La Rochelle, du ghetto à la périphérie

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°513 - 13 octobre 2015

Dans le diocèse de La Rochelle et Saintes, l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum est limitée à une célébration mensuelle alternée entre les deux sièges épiscopaux... distants de 70 km ! Cette formule, ad experimentum, persiste depuis 2008... Très exactement, une messe est célébrée dans l’église de La Jarne, aux portes de La Rochelle, le 4ème dimanche des mois impairs, et dans la basilique Sainte-Eutrope de Saintes, le 4ème dimanche des mois pairs.

Alors que l’évêque, Mgr Bernard Housset, vient de fêter ses 75 ans et que la succession épiscopale est ouverte, il nous semble opportun de faire un point sur cette situation vraiment caricaturale qui écartèle les familles liées à la liturgie traditionnelle entre le ghetto et les périphéries diocésaines.
I – UNE SITUATION FIGÉE
Dans notre lettre 88, publiée le 5 mars 2008, nous écrivions :
« C’est désormais officiel, Monseigneur Bernard Housset, évêque de la Rochelle et Saintes vient de décider de ce qu’il en était de la "mise en œuvre" du Motu Proprio dans son diocèse. Cette décision prise sans véritable concertation avec les fidèles ne répond pas un instant aux besoins des familles et ne s’inscrit ni de près ni de loin dans la lettre et l’esprit du Motu Proprio du 7 juillet 2007. Sous couvert d’œuvrer à la réconciliation des catholiques, Mgr Housset propose une solution totalement inappropriée et peu respectueuse des fidèles :
- la messe sera célébrée dans la forme extraordinaire du rite romain chaque 4ème dimanche du mois à 11h, à partir d’avril 2008, pour une année ad experimentum, en alternance une fois à Saintes et l’autre fois à la Rochelle. »
Or, dans notre lettre 284, du 26 mai 2011, nous rendions compte des résultats du sondage réalisé du 22 au 29 mars 2011 par le cabinet JLM Études auprès d’un échantillon de 964 personnes représentatives de la population de 18 ans et plus du diocèse de La Rochelle.

Ce sondage révélait tout d’abord que sur 964 personnes interrogées, 416 seulement se déclaraient “catholiques”, soit 43%, une donnée qui confirmait tristement la crise de l’Église de France en milieu rural.

Ensuite, cette enquête faisait apparaître que :
  • 21,2% des catholiques déclarés assistaient au moins une fois par mois à la messe (ce que les sociologues appellent aujourd’hui les pratiquants),
  • que 76,5% de ces pratiquants connaissaient l’existence du Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI,
  • que 61,4% des pratiquants estimaient normale la célébration régulière des deux formes du rite au sein de leur paroisse,
  • et enfin que 56,4% des pratiquants du diocèse participeraient au moins une fois par mois à une messe en latin et en grégorien selon le missel de 1962, à la condition que celle-ci leur soit proposée dans leur paroisse.
Bref, comme nous l’écrivions dans nos réflexions : « 56,4%, c’est donc bien une majorité des catholiques fréquentant encore les églises de Charente-Maritime qui est ouverte à l’enrichissement mutuel des deux formes du rite romain tel que le souhaite Benoît XVI. Le problème c’est que les portes des paroisses demeurent fermées à cette coexistence pacifique des deux formes du rite puisque la forme extraordinaire n’y est pas célébrée. »

Plus d’un an avant l’apparition de la Manif pour Tous, nous avancions aussi que ce résultat pouvait aussi présenter « une lointaine mais certaine analogie avec le phénomène politique électoral actuel : toutes choses égales, le décalage entre les hiérarques catholiques et le "nouveau catholicisme" français (...) trouve dans les sondages liturgiques une occasion de se manifester en un ras-le-bol certain ».

Aujourd’hui, en octobre 2015, rien n’a bougé. Les fidèles diocésains doivent toujours se satisfaire de cette messe mensuelle alternée tandis que la Fraternité saint Pie X offre quatre messes dominicales hebdomadaires : deux à La Rochelle, une à Saintes et une entre Saintes et Saint-Jean-d’Angély.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Une Église ouverte, hôpital de campagne, tournée vers les périphéries existentielles... Il est probable que le pape ne pensait pas explicitement aux périphéries traditionalistes – encore que, son attitude vis-à-vis de la FSSPX montre qu’il n’y est pas insensible –, mais il est clair que la messe traditionnelle est vraiment celle d’une périphérie. Visiblement, l’esprit du discours du pape François n’a pas été entendu par Mgr Housset. Car sinon il aurait déjà mis fin à la scandaleuse trahison de l’esprit et de la lettre du Motu Proprio de Benoît XVI que représente la célébration mensuelle alternée, à 70 km de distance, de la forme extraordinaire dans son diocèse. Si les résultats de notre sondage de 2011 ne devaient pas suffire, les messes dominicales que célèbrent les prêtres de la FSSPX à La Rochelle et à Saintes prouvent l’existence de groupes stables de fidèles dans ces deux villes. Mais, il en va sous François comme il en allait sous Benoît, peu importe ce que dit Rome puisque, à l’instar de Mgr Housset, bon nombre de nos évêques, se considèrent pape en leur diocèse.

2) En refusant la célébration de la forme extraordinaire à Royan en 2011 (voir notre lettre 274), le Père Delage, vicaire épiscopal de Sainte et La Rochelle, expliquait que cela irait « à l’encontre de la communion ecclésiale locale ». Considérant que 61,4% des pratiquants (et 51,9% de l’ensemble des catholiques sondés au même moment) trouvaient normale la coexistence des deux formes du rite dans leur paroisse, nous avions demandé publiquement, dans notre lettre 284, qui menaçait alors la communion ecclésiale ? Les demandeurs de Royan et nous-mêmes attendons toujours la réponse.

3) En 2011, la Fraternité saint Pie X est officiellement devenue propriétaire à La Rochelle de la chapelle Notre-Dame de l’Espérance où un méritoire prêtre diocésain, l’abbé Sire, avait continué à célébrer durant des années la messe traditionnelle. Du coup, et c’est une bonne chose, l’apostolat de la FSSPX peut s’y développer sereinement. Toutefois, les familles rochelaises qui préféreraient vivre de la liturgie traditionnelle dans leur paroisse demeurent laissées pour compte, confrontées à l’habituel refrain ecclésiastique : « vous n’avez qu’à aller à la FSSPX » (1) quand elles se plaignent de la platitude de la liturgie ordinairement célébrée en paroisse et « vous voyez bien que vous préférez le ghetto » quand il leur arrive de sauter une messe paroissiale. Certains, à Rome, pensent que lorsque Mgr Fellay acceptera la prélature personnelle que lui propose le pape François, cela réglera les problèmes des cœtus fidelium visés par le Motu Proprio, à savoir des groupes qui demandent la messe en forme extraordinaire. Ils veulent sans doute dire que tous ceux qui désirent assister à cette messe pourront tranquillement aller aux messes de la FSSPX. Mais le Motu Proprio concerne les fidèles qui demandent cette célébration dans leurs paroisses, pas dans des lieux à part (utiles, par ailleurs, notamment comme solution d’attente).

4) L’évêque qui sera nommé à La Rochelle administrera une Église moribonde : dans 10 ans, le diocèse de La Rochelle n’aura plus, dans le meilleur des cas, que 25 prêtres en exercice. Ne pourrait-il pas se pencher vers ce qui vit encore dans son Église, et notamment vers ces jeunes fidèles, vers ces familles nombreuses, qui constituent le public habituel des messes traditionnelles ? Encore faudrait-il que la politique de nominations épiscopales en France soit plus audacieuse. Car il y a malheureusement dans l’attitude d’un grand nombre de hiérarques de l’Église de France un étrange phénomène psychologique (et moral) de cécité : incapables de faire avec franchise le bilan d’une pastorale postconciliaire qui n’a pas donné de fruits, ils préfèrent malgré tout, continuer de manière impavide sur une lancée sans avenir, plutôt que de considérer de manière pragmatique les diverses aires où le catholicisme continue de prospérer et de les favoriser.

5) C’est donc vers le pape François et le successeur que celui-ci voudra bien donner à Mgr Housset, que nous adressons nos suppliques et celles des familles du diocèse de La Rochelle et Saintes : faites un geste envers les « migrants liturgiques » du diocèse et donnez-leur le toit paroissial qu’ils demandent patiemment depuis maintenant sept années. Offrez-leur à terme la célébration hebdomadaire paroissiale de la forme extraordinaire dans chacune des deux villes épiscopales, dans une paroisse de chaque ville, en commençant, par exemple, par passer d’une messe tous les deux mois dans chaque ville à une messe tous les 15 jours dans chaque ville.
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(1) Jean-Marc de Lacoste-Lareymondie, porte-parole des fidèles de la FSSPX à La Rochelle, rapporte ces propos du très pince-sans-rire Mgr Housset : «L'évêque, après nous avoir écoutés, nous a répondu qu’il connaissait les questions relatives à la Tradition, que l’abbé Sire était l’un de ses prêtres et qu’il nous considérait comme une paroisse.» in Fideliter 206.