15 mai 2016

[Henri Courivaud - Causeur] Le pèlerinage «Summorum Pontificum» à Rome, ou la vitrine d’une mouvance de retour

SOURCE - Henri Courivaud - Causeur - 15 mai 2016

Du 27 au 30 octobre prochains sera organisé, de Nursie [1] à Rome, le cinquième pèlerinage « Summorum Pontificum » en action de grâces pour la publication, le 7 juillet 2007, du motu proprio [2] au même intitulé, qui a pleinement autorisé le retour de l’ancienne liturgie de l’Église catholique romaine. Pourquoi accorder une telle importance à la liturgie et à ce pèlerinage qui aspire à réunir cette année 4 000 personnes à la messe pontificale [3] célébrée en la basilique Saint-Pierre-de-Rome samedi 29 octobre [4] ?

En réalité, si ces fidèles d’octobre prochain ont pris cette initiative, c’est parce que plusieurs membres du gouvernement de l’Église avec à sa tête, un pape, Benoît XVI, ont souhaité restaurer la valeur magistérielle de l’ancienne liturgie permettant aux fidèles d’exprimer leur foi, leur espérance et leur charité par des gestes sacramentels qui les symbolisent avec la plus grande solennité dans le sens profond du terme. En latin, en effet, ad solennitatem ne veut pas dire « faste » mais signifie tout simplement que rien ne manque pour qu’une action liturgique et au-delà, juridique soit considérée comme valide. Cependant, il ne s’agit pas seulement de remettre en vigueur un mode d’expression publique de la vie de l’Église catholique sous prétexte qu’il aurait été aboli par le second concile de Vatican (1962-1965) – ce qui est d’ailleurs inexact, car elle n’a jamais été abrogé – mais de mettre en valeur l’importance de la liturgie grégorienne pour la vie de la foi.

Cette liturgie, qualifiée aussi d’usus antiquior par le décret d’application dumotu proprio, remonte, estime-t-on, au moment où la liturgie romaine est passée du grec au latin, c’est-à-dire au milieu du IIIe siècle, puis s’est répandu dans les pays francs à l’époque carolingienne, et n’a jamais été interrompue. Elle était de règle, mais sans uniformité [5], jusqu’au dernier concile.

Plus encore, Benoît XVI a voulu souligner que la liturgie n’est pas seulement un ensemble de règles réunies dans un cérémonial et destinées à déterminer le déroulement d’un culte, surtout s’il est public ; cette liturgie a aussi et surtout valeur de doctrine et d’expression de la vraie foi.

Certes, le caractère cérémoniel attaché à l’usus antiquior n’est pas ce qui fait son originalité fondamentale : toutes les religions mettent en valeur une liturgie qui est exprimée publiquement et à cet égard, n’aiment guère réduire celle-ci à une esthétique de récupération comme prétend le faire notre modernité finissante. Seulement, dans l’Église catholique, tous les documents officiels ratifiés par le pape et ses « frères dans l’épiscopat » soulignent que la liturgie, par sa définition même, poursuit un impératif que l’on peut exprimer avec la concision bienvenue de la langue latine : Legem credendi statuat lex supplicandi (« loi de la prière règle la loi de la foi »), un adage tiré d’une lettre attribuée au pape Célestin 1er aux évêques de Gaule au Vème siècle. C’est de cette manière et dans ce contexte que la liturgie est un enseignement théologique très profond sur la grâce et le signe le plus visible – sacramentel, donc – de ce que l’on nomme le magistère de l’Église.

Il y a plus : à l’instar de l’encyclique Humanae Vitae, laquelle, publiée par le pape Paul VI en 1968, réaffirma un aspect fondamental de la discipline attachée au sacrement du mariage et montra ainsi que l’Église catholique gardait un cap identique du point de vue moral, n’en déplaisait à certains au nom d’une nécessaire modernité, Benoît XVI a voulu souligner que l’usus antiquior contient l’essentiel en termes de foi, espérance de charité et de morale pour donner aux vertus ainsi pratiquées une valeur dogmatique et un soutien essentiel de la vie chrétienne.

Cette réaffirmation de la permanence de cet usus antiquior requiert un retour à une idée forte du magistère : tous les signes sensibles, toutes les symboliques utilisées dans les cérémonies sacramentelles, tous les gestes de cette liturgie (retourner l’autel « vers le Seigneur » (lux ex Oriente), pratiquer la communion à genoux sur la langue, réintroduire l’offertoire traditionnel en silence, faire le choix de la prière de consécration dite du « canon romain » et la réintroduction effective du latin et du chant grégorien) n’ont pas d’autre finalité que le service de ce magistère, celui-là même que les évêques et in fine le pape « gardien des clefs du Royaume des Cieux », enseignent à titre de doctrine concernant la morale et au-dessus de celle-ci, le contenu de la Révélation.

Même s’il s’agit d’une initiative venant du haut (une lettre pastorale du pape), elle reflète et formalise ce que des fidèles de plus en plus nombreux désirent fondamentalement pour participer de façon effective à la vie de cette société qu’est l’Église. Ce désir fondamental, c’est celui d’une « réforme de la réforme », qui consiste à colmater cette brèche catastrophique qui menace notre société occidentale depuis le milieu du XXème siècle. Cette brèche, c’est celle que dénonça par exemple Paul Claudel, témoin involontaire de certaines « expériences liturgiques » développées par les prêtres de la paroisse Saint-Séverin à Paris au début des années 50 [6], pour tourner résolument le dos à la tradition grégorienne…. et se tourner face au peuple en célébrant la messe ; c’est celle dénoncée par Agatha Christie en 1971 [7], avec l’appui de certains écrivains et musiciens de renom en Grande-Bretagne, tels Graham Greene, Colin Davis, Yehudi Menuhin pour souligner, en tant que catholiques, mais aussi protestants, orthodoxes, juifs ou agnostiques l’importance d’un « rite qui appartient à la culture universelle non moins qu’à l’Église et aux fidèles » et non à des liturgistes qui alors influents à Rome avaient suggéré à Paul VI de le faire disparaître purement et simplement. Au nom de la modernité, donc, ces liturgistes, qui ont longtemps gardé cette influence, avaient voulu profiter de la quasi-disparition de l’enseignement des humanités dans le monde occidental — en France, sans doute plus qu’ailleurs — pour torpiller le vaisseau — déjà fragile en ce siècle de bouleversements difficilement réparables — qu’était devenu le latin liturgique. Or cette langue était particulièrement apte dans la religion romaine à exprimer la prière publique ou les actes d’une société implantée dans une cité au sens antique du mot, avec toute la solennité requise et à annoncer ce que seront plus tard dans Rome devenue chrétienne, les sacrements de l’Église catholique.

Il faut le répéter : ce sont les fidèles eux-mêmes et eux d’abord — avec de solides soutiens issus de la curie romaine tels les cardinaux Brandmüller, Cañizares et Burke et parfois l’appui des évêques diocésains à forte personnalité tels Mgr Schneider, Mgr Sample, Mgr Negri —, des liturgistes, des directeurs de séminaire, des responsables d’instituts religieux séculiers ou réguliers, des séminaristes de toutes provenances qui, à travers ce que le latin liturgique contient en symbolique sacramentelle et solennelle dans l’expression de la foi, et en même temps dogme à vivre au quotidien, rejettent ce mouvement de profanation de la liturgie qui a traversé l’Église catholique de façon plus profonde que les autres religions invoquant le Christ à leur tête, comme les Luthériens et les Anglicans par exemple.

Ce pèlerinage d’octobre prochain va réunir tous ces fidèles qui savent que l’Eglise a tout à perdre de faire sienne, même au nom d’une « pastorale » d’accompagnement des pratiques du monde moderne, ce mouvement d’entrée massive du profane dans la liturgie. Cette pastorale en effet, faisant peu de cas de la liturgie en général, quelle qu’elle soit, et pratiquant aisément un mélange des genres, a voulu mettre de plain-pied la vie de tous les jours, pétrie de banalité, avec l’ordre du divin. C’est ainsi que la célébration eucharistique prend désormais la figure familière d’un repas pris en commun, avec des paroles de simple urbanité, des gestes de convivialité, le langage de tous les jours, autrement dit tout ce qui constitue la matière d’une pastorale vue comme une dynamique de la foi visant à donner à chacun selon ses besoins spirituels. Que vaut, dans ces conditions, cette pastorale liturgique ou plutôt para-liturgique sans le dogme retracé aussi solennellement qu’intimement par toutes les expressions de cet usus antiquior ?

À Rome, en cette fin octobre 2016, nous serons en présence de véritables pèlerins venus de tous horizons et de toutes catégories qui se règlent déjà et de façon paisible à l’usus antiquior en s’appuyant sur ce motu proprio,Summorum Pontificum. L’accueil officiel des pèlerins à Rome traduira une reconnaissance pleine et entière par les autorités du Vatican de l’usus antiquior qui sera appliqué à toutes les cérémonies qui ponctueront ce pèlerinage. D’ailleurs, cette reconnaissance sera formalisée comme les années précédentes par un message que le pape fera lire aux pèlerins au terme de la messe pontificale du 29 octobre.

D’ores et déjà cette démarche est l’une des manifestations de cette très grande fécondité qui annonce le catholicisme de demain, celui qui sera constitué par ce que l’on qualifie aujourd’hui de « forces vives ». En France, il s’agit par exemple des instituts et groupements de fidèles traditionalistes de toutes obédiences, les communautés dites du « renouveau », charismatiques ou non (Emmanuel, Opus Dei, communauté Saint-Martin…) [8]. On les retrouve dans les JMJ certainement mais aussi dans ces manifestations qui, réunissant une jeunesse en nombre, entend s’opposer au « mariage pour tous » et à toutes ces pratiques qui, reconnues à présent sinon encouragées par les législateurs nationaux ou les cours constitutionnelles, européennes ou internationales chargées du respect des droits fondamentaux, s’opposent délibérément à la loi naturelle, celle qui défend la vie à naître et rejette toute forme provoquée de fin de vie.

Car s’il est vrai qu’il y a près d’un demi-siècle, le catholicisme a largement emboîté le pas aux idéologies de 68, la mouvance Summorum Pontificum,dont le pèlerinage romain annuel est l’une des vitrines, participe avec ces autres aires catholiques au grand retour de balancier aujourd’hui partout observable.
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[Notes]
  1. Nursie, en Ombrie, est la ville natale de Saint Benoît (480-547), l’un des grands fondateurs du monachisme. Saint Benoît qui a été proclamé « patron de toute l’Europe et héraut du christianisme » par Paul VI le 21 octobre 1964, affirme dans sa Règle que rien ne doit être préféré à la liturgie (opus Dei). À sa suite les Bénédictins ont veillé scrupuleusement au respect de celle-ci au sein de l’Église d’Occident. Ainsi ils ont, avec dom Géranger (1805-1875) notamment, remis en honneur le chant grégorien à la fin du XIXème siècle. 
  2. Acte normatif pris par le pape « de son propre chef » pour préciser les règles d’administration et d’organisation dans l’Église catholique.
  3. La messe pontificale est la messe célébrée par un évêque en rite solennel.
  4. Dès le premier pélerinage (2012), la fin octobre a été choisie car elle correspond à l’une des grandes fêtes qui viennent clore l’année liturgique, celle du Christ-Roi et au jour anniversaire de la proclamation par Paul VI concernant Saint Benoît.
  5. D’autres rites latins existant parallèlement, les rites milanais ou ambrosien, mozarabe (wisigothique), et des usages particuliers subsistant dans les ordres religieux et de nombreux diocèses.
  6. Dans un article du Figaro littéraire du 29 janvier 1955 à propos de « La messe à l’envers ».
  7. Un manifeste en forme de supplique adressée à Paul VI fut publié par le Times de Londres le 6 juillet 1971 et dans d’autres journaux du monde. La disparition de l’ancienne liturgie devint cependant effective dès le 28 novembre 1971 à quelques notables exceptions près, en Grande-Bretagne, justement.
  8. Sans parler des séminaristes qui, de plus en plus nombreux en France (ils représentent actuellement un cinquième de l’effectif total estimé à 700 candidats au sacerdoce), veulent aussi célébrer selon l’usus antiquior et d’un jeune clergé diocésain en pleine mutation, désireux de le mettre à l’honneur.