2 septembre 2016

[Jacques Breil - Présent] Homélies de Mgr Lefebvre à Écône

SOURCE - Jacques Breil - Présent - 2 septembre 2016

Sous un titre un peu sot (« Homélies à Ecône » aurait parfaitement suffi), qui n’altère toutefois pas la valeur du contenu, et sous une belle reliure d’éditeur, vient de paraître un document capital pour l’histoire ecclésiastique du dernier demi-siècle : Ecône, chaire de vérité, qui propose l’intégralité des sermons de Mgr Marcel Lefebvre dans le séminaire qu’il avait fondé en Suisse après avoir été missionnaire en Afrique puis Supérieur général des Spiritains.

« L’évêque de fer », comme se plaisait à le surnommer la presse, a prononcé de très nombreuses allocutions, puisqu’il ne cessait de parcourir le monde. Cependant, sauf de rares exceptions, il réservait ses déclarations majeures à Ecône. On possède donc, avec ce recueil, une vue d’ensemble de la façon dont Mgr Lefebvre expliquait son parcours, ses positions et son projet. Les éditeurs ont eu la bonne idée d’ajouter en annexe les trois principaux sermons « historiques » qui n’ont pas été prononcés à Ecône, à savoir le sermon de Lille en août 1976, le sermon pour le jubilé des cinquante ans de sacerdoce en septembre 1979 et celui du jubilé des soixante ans en novembre 1989. Rien ne manque donc à notre information.

Cette somme constitue en quelque sorte le plaidoyer pro domo de l’ancien Délégué apostolique de Dakar. Mais non pas comme un ouvrage rédigé après coup dans le dessein de se justifier. Au contraire, jour après jour, Mgr Lefebvre réagit aux événements de l’Eglise, expose ses doutes, ses angoisses, ses colères, ses espérances. Et comme il s’agit de sermons, ces éclairages sont inscrits dans une présentation d’ensemble du sacerdoce, de la vie chrétienne, des sacrements, de l’Eglise.

Certains discours sont d’ailleurs d’un grand souffle. Le sermon des ordinations sacerdotales en 1976, celui du jubilé de 1979, l’homélie sur « la Passion de l’Eglise » le 29 juin 1982, par exemple, révèlent un véritable orateur, ce que l’archevêque, au demeurant, ne prétendait pas être : « La vraie éloquence se moque de l’éloquence », notait fort justement Pascal.

En parcourant l’ouvrage, on apprécie de découvrir bien des passages qui font connaître l’âme du fondateur d’Ecône au-delà des approximations voire des caricatures qui en ont été transmises par les médias. C’est un bonheur d’en recueillir certains au fil des pages, pour aborder une pensée plus complexe et ouverte qu’on ne l’imaginait. Donnons-en simplement trois exemples.

A la toute fin des « Trente Glorieuses », Mgr Lefebvre propose, en quelques lignes, une critique économique et sociale qui vient percuter de plein fouet le monde du capitalisme triomphant et de l’ultralibéralisme que nous subissons aujourd’hui. « Les problèmes économiques et sociaux seraient résolus si la vertu de tempérance, plus encore que la vertu de justice, était pratiquée par tout le monde. Le mépris des choses de ce monde, la mesure en toutes choses, dans tout ce qu’il faut employer ici-bas, dans tous les biens dont il faut user : voilà la tempérance. Si tout le monde pratiquait la vertu de tempérance, la vertu de justice serait vite résolue. Mais parce qu’on ne veut plus pratiquer la vertu de tempérance, parce que tout le monde recherche davantage de biens, toujours davantage de jouissance à n’importe quel prix, dans n’importe quelles conditions, alors la jalousie, l’envie se mettent dans le cœur des hommes, et ainsi la lutte se répand dans le monde entier. De même, si ceux qui possèdent comprenaient davantage qu’ils doivent, eux aussi, user avec modération des biens de ce monde, ils pourraient se montrer plus généreux envers ceux qui manquent » (7 janvier 1973, p 30).
Antisémitisme ?
On accuse souvent les « traditionalistes » de fricoter avec l’antisémitisme, l’un des nouveaux « péchés capitaux » (avec sans doute le fait de fumer du tabac, de mal trier ses ordures et de ne pas se pâmer d’admiration devant le hip-hop). Les paroles de Mgr Lefebvre sur ce point sont d’une clarté extraordinaire, excluant toute haine raciale, mais marquant nettement, en revanche, l’irréductible opposition religieuse : « Nous devons affirmer notre foi en Notre Seigneur Jésus-Christ, notre amour de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est précisément ce qui fait la distinction entre nous et les Juifs dont nous sommes les descendants : nous sommes les enfants spirituels des Juifs, nous n’avons pas à mépriser la race des Juifs, Notre Seigneur a pris sa chair dans le sein d’une Juive qui était la Vierge Marie. (…) Nous devons donc aimer la race juive, mais nous ne devons pas nier que parmi les Juifs il y a précisément ceux qui ont accepté Notre Seigneur Jésus-Christ, ceux qui l’ont reçu, qui ont propagé son nom, qui ont donné leur sang pour lui, et puis ceux qui l’ont haï, mais haï avec une haine farouche, avec une persécution constante, sans relâche, encore aujourd’hui. C’est cela que nous reprochons aux Juifs » (2 janvier 1977, p. 237).
Trois dons « extraordinaires »
Alain de Pénanster a intitulé le livre qu’il a consacré en 1988 à Mgr Lefebvre, Un papiste contre les papes. Ce titre nous revient en mémoire en parcourant le sermon du 19 septembre 1976, pour la rentrée du séminaire d’Ecône. L’été vient sans doute de connaître l’acmé de la première confrontation entre la Fraternité Saint-Pie X et le Vatican, avant celle de 1988 : Mgr Lefebvre, en juillet, a été frappé par Paul VI de suspense a divinis. On pourrait s’attendre à ce qu’il propose, à ses séminaristes, le récit des événements de « l’été chaud 1976 ». Or il fait rouler son entretien sur « les trois dons extraordinaires que Dieu nous a faits », à savoir l’Eucharistie, la Vierge Marie et le Pape (p. 199). Il ne s’agit évidemment pas d’une provocation à l’encontre du Siège apostolique, et même au contraire : le Supérieur de la Fraternité Saint-Pie X exprime ici une conviction très profonde, et il reprendra le même thème dans son sermon pour ses trente ans d’épiscopat, soulignant d’ailleurs au passage qu’il prêchait souvent cette doctrine lorsqu’il était missionnaire en Afrique (18 septembre 1977, p. 293).

On se promène ainsi dans ce jardin de délices, picorant ici une pensée, révisant un point de doctrine ou de liturgie, approfondissant sa foi, réchauffant sa vie chrétienne. Un tel recueil est comme un trésor inépuisable, une source ininterrompue de vie spirituelle, une somme que l’on consulte indéfiniment, et toujours avec un profit et un plaisir renouvelés.

Jacques Breil
  • Mgr Marcel Lefebvre, Écône, chaire de vérité, éditions Iris, 2016, 1104 pages, 73 euros.