23 décembre 2017

[Le Petit Eudiste (FSSPX)] Pourquoi si peu de réactions?

SOURCE - Le Petit Eudiste (FSSPX) - décembre 2017
En un siècle de foi, devant les extravagances en matière morale du Saint-Père, les réactions seraient autrement plus vives qu’elles ne sont aujourd’hui. Oui, en un siècle de foi, toute l’Église serait en clameurs, et à juste titre. Mais il faut bien le constater, les attaques menées de biais contre l’indissolubilité du mariage dans l’exhortation post-synodale Amoris Laetitia n’ont guère ému au total qu’une poignée de cardinaux, d’évêques et de laïcs, ou du moins s’en faut-il de beaucoup que cette émotion se soit exprimée publiquement de manière fréquente et insistante. De plus, certains tenants de la morale évangélique se sont ralliés sur pression et de guère lasse à la ligne tracée par le désormais fameux chapitre huit: Le pape ne dit-il pas avoir l’Esprit-Saint à sa disposition?

Pourquoi cette pusillanimité? On doit invoquer la perte du goût de la vé- rité, perte que la fausse notion de tradition vivante, évolutive, commune aux papes post-conciliaires a corrompu. À notre corps défendant, nous trempons dans un bain de relativisme qui affaiblit nos intelligences et nos volontés. Aussi nous attachons-nous moins à ce qui est ou devrait être qu’aux personnes investies de l’autorité. Viennent-elles à défaillir manifestement, gravement, avec pertinacité, nous voilà intimidés, comme paralysés ou même portés à tordre notre jugement pour justifier l’injustifiable: l’abandon de la morale naturelle et révélée, l’enseignement du Seigneur Jésus. Nous ne nous sentons pas en mesure de tenir, de faire front, nous inventons des raisonnements captieux teintés de surnaturalisme pour rentrer dans le silence. En voulez-vous une illustration? Nous lisons dans l’éditorial de la Lettre aux amis Bienfaiteurs de la Fraternité Saint Pierre [1]: «… certains messages de l’autorité de l’Église étonnent ou troublent une partie notable des catholiques occidentaux. Cependant – et comme toujours – nous sommes prompts à remarquer les aspérités du chemin tandis que, sûrement par manque de vie inté- rieure, nous restons aveugles face aux signes d’espérance que la Providence ne manque pas de nous envoyer.» Quel escamotage, avec en prime l’accusation d’aveuglement lancée à la face des clairvoyants, de ceux qui ne renoncent pas au combat doctrinal! Remarquez que les ralliés et les sédévacantistes partagent les mêmes présupposés: «Qu’il s’agisse d’un document infaillible ou non, le catholique doit filialement embrasser le magistère. Il ne peut pas faire le tri entre ce qui est infaillible et ce qui ne l’est pas.» [2] De ce fondement, les premiers concluront que ce qui semble faux est néanmoins vrai, et les seconds que celui qui semble être le pape ne l’est pas, en raison des hérésies enseignées.

C’est ainsi que la Révolution conciliaire a tout ravagé ou presque. L’étrange, c’est qu’il nous faut constater que ses farouches adeptes, sur le plan sociologique, sont issus bien souvent du catholicisme traditionnel. N’est-ce pas un comble? Les familles méritantes – ô combien! – sous un Pie IX ou un saint Pie X, pour peu qu’elles aient persévéré dans la pratique religieuse, ont adopté trop souvent les nouveautés qui contredisent les doctrines que ces Souverains Pontifes rappelaient avec fermeté! Elles n’ont pas résisté à l’ouragan qui a soufflé dans les années soixante. Il faut en chercher les causes. L’une d’entre elles relève d’une conception faussée de l’autorité et de l’obéissance, conception qui mine la capacité de résistance à l’erreur imposée par le supérieur infidèle. Comment la caractériser en quelques mots? «Si on accorde au magistère les attributs exclusifs de Dieu, ni le pape ni les évêques ne pourront jamais être infidèles à leur fonction, pas même en dehors des limites strictes de leur infaillibilité. Le fidèle devra toujours prêter à ses pasteurs une obéissance absolue. L’état de nécessité est par définition une chose impossible. Avec un tel postulat, il ne reste plus qu’à nier le fait de la crise de l’Église, à minimiser puis à réduire à néant les graves préjudices causés par les enseignements et les réformes du concile Vatican II…» [3] Dans ses origines, cette déviation remonte à loin, mais sauf cas particulier, jusqu’à Pie XII, elle n’a pas porté à conséquence. Cependant, ce nouveau fidéisme [4] ne préparait pas à se dresser contre la tourmente qui s’annonçait. N’en soyons pas choqués, mais cette déviation avait même été encouragée à l’occasion par un pape que nous vénérons. Témoin ces deux affirmations extraites d’un discours aux prêtres en date du 2 décembre 1913, affirmations justes sans doute en situation mais qu’on ne saurait absolutiser: «Il ne saurait y avoir de sainteté là où il y a dissentiment avec le pape» et, «on ne limite pas le champ où le pape peut et doit exercer sa volonté». Mettez ces deux propositions dans la bouche du pape François, et vous vous apercevrez sur le champ de leur caractère excessif, erroné. Il s’agit là en réalité d’une opinion privée qui, prise en rigueur de termes ne résiste pas à l’examen. En tous cas, rapporte Jean Madiran dans la post-face qu’il donne à la Brève apologie pour l’Église de toujours, le père Calmel mettait une grande énergie à les rejeter, et l’autorité invoquée si grande et vénérable fût-elle n’ébranlait pas sa certitude. Ce discours aux prêtres a été porté à la connaissance du milieu conservateur dans le livre Pour qu’il règne, de Jean Ousset. Voilà qui pourrait expliquer bien des atermoiements et défections à l’heure où le devoir de lutter contre le néo-modernisme sonna. La tendance à l’inconditionnalité, le refus des nuances, des distinctions et des limites que l’Église a toujours apportées dans son enseignement de l’obéissance ne portent certes pas au mal sous des papes intègres, mais ils peuvent entraîner à des catastrophes en temps de crise. Le RP Le Floch, supérieur du séminaire français de Rome, disait à ses étudiants en 1926: «l’hérésie qui est en train de naître sera la plus dangereuse de toutes: l’exagération du respect dû au pape et l’extension illégitime de son infaillibilité.» [5] A défaut d’hérésie, ce tour d’esprit conduit à des contresens historiques dramatiques. En voici une illustration tirée du livre Toute la vérité sur Fatima: «Cependant il faut bien constater que dans l’analyse de la situation mondiale, un optimisme injustifié gagnait peu à peu la plupart des experts de Fatima. Optimisme des plus illusoires qui aura bientôt les plus funestes effets. Faisant profession d’une absolue confiance au Saint-Père, sans aucune restriction ni limite, exactement comme s’il jouissait du double charisme d’impeccabilité en tous ses actes et d’infaillibilité en tous domaines et à toutes occasions, ils n’osaient même pas insinuer que le pape n’avait pas encore obéi à toutes les demandes de NotreDame… Ainsi le chanoine Barthas…, en 1951, tentait d’expliquer que, depuis 1945… la Vierge commençait de construire la paix mondiale.» Ainsi John Haffert, ainsi Monseigneur Fulton Sheen, qui s’écriait: «… Le communisme a été défait le 13 octobre 1951, mais la nouvelle n’en a pas été encore répandue…» [6] Ainsi le colonel Rémi, et d’autres encore, au temps où la Russie était et serait encore sous Staline, Khrouchtchev puis Brejnev comme un vaste réseau de camps de concentration. Quelle était la racine de cet optimisme illusoire? Le frère Michel répond à cette question: «Elle est aisément repérable. C’est une erreur sur les demandes précises de la Vierge et sur leur accomplissement réel par le Souverain Pontife. Déplorable erreur qui trouve elle-même sa source dans une volonté délibérée d’affirmer à priori, comme un dogme de foi, que nécessairement le Saint-Père a toujours fait son devoir et accompli toutes les demandes du Ciel. C’était oublier que ni la juste obéissance, ni la confiance aimante et filiale qui sont dues au Saint-Père, en tant que vicaire du Christ et chef visible de l’Église, ne peuvent autoriser les fidèles à manquer au respect absolu dû à la vérité.»

Aujourd’hui, plus que jamais, il faut rappeler que le pape est essentiellement vicaire de Jésus-Christ. Monseigneur de Castro-Mayer en tirait quelques conséquences [7]: «Cet aspect est de l’essence même de la papauté. Il ne peut être mis de côté. Son oubli… peut conduire les personnes à penser que le pape est le maître de l’Église, qu’il peut faire ce qu’il veut, ordonner et révoquer selon ce qui lui paraît le mieux, les fidèles étant toujours et simplement obligés de lui obéir. En réfléchissant un peu, on voit que cette conception attribue au pape l’omniscience et la toute-puissance, attributs exclusifs de Dieu. Ce serait de l’idolâtrie, laquelle transfère à la créature ce qui est propre à la divinité. C’est pourquoi, le premier concile du Vatican, pour définir les pouvoirs du pape, prit soin d’en préciser aussi la fin et les limites. Le pape doit conserver intacte l’Église du Christ, à travers laquelle le divin Sauveur perpétue son œuvre de salut. Il a à maintenir en effet la structure de la sainte Église, telle que le Seigneur l’a constituée et doit veiller à conserver et transmettre intègres la foi et la morale reçues de la Tradition apostolique.» Ne craignons pas d’insister: combien de prêtres, de religieux pieux et de bonne doctrine ont été pris au dépourvu et mis dans l’impossibilité psychologique de faire face à la subversion soufflée d’en haut, ou pis même, ont fini par collaborer à cette subversion parce qu’ils avaient reçu une éducation quelque peu faussée par la mésestime des valeurs de l’intelligence, éducation qui poussait en définitive à se garer de toute responsabilité derrière le supérieur, quoiqu’il commandât. Dans ce contexte, l’action de sauvetage de Monseigneur Lefebvre apparaît vraiment comme un miracle moral suscité par la Providence.

Quant à nous, il nous faut chercher le vrai, l’aimer et le servir sans relâche, devrions-nous en perdre notre réputation ici-bas, devrions-nous être tenus pour fols par ceux qui ont perdu le sens de l’objectivité, et que les courants entraînent de-ci de-là. Monseigneur Lefebvre a été placé devant une sorte de dilemme: «Si ce gouvernement [de l’Église officielle] abandonne sa fonction et se retourne contre la foi, qu’est-ce que nous devons faire? Demeurer attachés à la foi? Nous avons le choix. Est-ce la foi qui prime? Ou est-ce le gouvernement qui prime? Nous sommes devant un dilemme et nous sommes bien obligés de faire un choix.» [8] Alors quelle attitude adopter en face d’un pape prévaricateur? «Nous ne récusons pas l’autorité du pape, mais ce qu’il fait. Nous reconnaissons bien au pape son autorité, mais lorsqu’il s’en sert pour faire le contraire de ce pourquoi elle lui a été donnée, il est évident qu’on ne peut le suivre.» [9] Vivre de vérité, dans la fidélité au Christ et à l’Église qu’il a fondée: en ce domaine, Mgr Lefebvre, nous a laissé un exemple poussé jusqu’à l’héroïsme. Avec la grâce de Dieu, montrons-nous dignes de ce grand serviteur de l’Église.
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  1.  Décembre 2017 – n°92.
  2. Abbé Ricossa: «La franc-maçonnerie et le modernisme» in Rivarol, N° 3305 du 15 novembre 2017.
  3. Cf. Courrier de Rome – juillet/août 2008 – abbé Gleize, p.3. 
  4. Cf. Itinéraires n° 196, septembre/octobre 1975. Louis Salleron in Solesmes et la Messe, p 149: «On ne veut plus exercer son intelligence: on «croit». Le fidéisme de naguère, c’était de croire en Dieu, à Jésus-Christ, aux vérités révélées, sans souci des motifs de crédibilité ou en les tenant pour dérisoires, voire inexistants. Le nouveau fidéisme, c’est de croire à Rome, au Pape, au Saint-Siège, sans autre souci, quant à ce qui en émane, que d’en justifier la forme et le fond… Le «fondamentalisme» passe de textes de l’Écriture Sainte à ceux du Vatican… L’Église elle-même a pris grand soin de définir ce qui est infaillible dans son enseignement… Ensuite nous entrons dans la hiérarchie extrêmement subtile et délicate des actes du Magistère. … […] Nous sommes dans le domaine … où la conscience et l’intelligence ont une liberté d’exercice qui, pour être elle-même soumise à des règles, n’en est pas moins réelle, sous peine de tomber dans le fidéisme… Le nouveau fidéisme incline à l’intégrisme idolâtrique. Il est redoutable, car s’il a, aujourd’hui de quoi «sécuriser» les esprits, il les laisserait sans recours le jour où les formes extérieures de l’Église viendraient à disparaître…».
  5. Citation communiquée par M. Gérard Bedel.
  6. Cf. Frère Michel de la Trinité, Toute la Vérité sur Fatima – Le troisième secret, tome 3, p 212 et 213.
  7. Cf. le mensuel Heri et Hodie (n°3 de mai 1983), repris en l’an 2000 dans la brochure intitulée Catholiques apostoliques romains – Notre position dans l’actuelle situation de l’Église.
  8. Cf. Sermon de la Messe chrismale du Jeudi-Saint 1986 à Ecône.
  9. Cf. Fideliter n°66.